jeudi 23 octobre 2014

Vendredi 23 octobre 1914

Je croyais me coucher hier soir mais départ à 9 heures. Il fallut boucler son sac et on part pour Arras. Marche jusqu'à minuit. Nous couchons dans les caves d'une malterie. Les obus éclatent dans la ville. On peut à peine dormir deux heures et on part le matin dans la nuit faire des défenses accessoires sur les lignes de feu.

Pour une entrée en danse nous avons été servi. De 7 heures à 11 heures, nous avons été sous une rafale d'obus. Les grosses marmites qu'on les appelle. Cela fait un bruit de tonnerre et des trous, c'est quelque chose. Ils éclatent en avant, arrière. Aussi inutile de dire de se défiler et de mettre le sac sur la tête. On prend un baptême du feu cogne, dont je me rappellerai longtemps si j'ai le bonheur d'en réchapper. À un certain moment une marmite tombe sur un point du talus qu'on venait de quitter. Il était temps, car une dizaine d'entre nous y seraient restés. À toutes les secondes, il passe des messagers de mort dans toutes les directions avec un sifflement effrayant.

Ce jour j'ai eu une joie et une grande peine. La première, de voir Baptiste mon ancien garçon, et qui se fait dans son nouveau métier et a l'air d'un vieux grognard. La seconde, c'est d'apprendre la mort de Colin(1), frappé par plusieurs balles, la nuit que je suis arrivé à Arras, au moment où il quittait la tranchée pour rejoindre les lignes arrières, ne voulant pas être prisonnier comme le fut sa section. Le fait m'a été raconté par un de ses hommes et que j'ai connu comme gérant de la coopérative de la 15ème. Pauvre femme, pauvres enfants, mais on est tous logés à la même enseigne et mon impression de cette première journée a été de maudire ceux qui ont déchaîné tant de larmes et de misères.

Évacuons le soir Arras pour aller au nord de cette ville. L'ordre nous est parvenu sur le travail, à onze heures, cela fait que nous avons passé la nuit dehors et dormi à la belle étoile. Nous avons je crois un peu reculé du côté d'Arras de peur d'être coupés.

(1) Porté disparu le 22 octobre à Saint-Laurent-Blangy.
Aimé André COLIN Mort pour la France

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire