La grande sape russe (6) est terminée. On prépare
la chambre aux poudres. Mêmes travaux.
Ce blog est consacré au carnet écrit par mon arrière-grand-père Émile Pons pendant la première guerre mondiale. Le blog reprendra avec 100 ans d'écart les textes écrits sur le front entre le 9 octobre 1914 et le 12 janvier 1915.
samedi 31 janvier 2015
vendredi 30 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 30 janvier 1915
Les bruits entendus aux écoutes du chemin creux
se précisent. En (1) le trajet des Allemands paraît être celui du
pointillé bleu. Ils sont très proches. On fait exploser le
camouflet préparé, qui a plein effet, et on repart vers le nord. En
(beta), on attend d'être plus renseigné sur la nature de leurs
travaux. On commence les écoutes (10) et (9) pour parer à toute
éventualité.
jeudi 29 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 29 janvier 1915
Même travaux. L'écoute 7 est arrêtée. On
entend vers le soir l'ennemi travailler en mine vers (1) et (beta).
On prépare des chambres aux poudres, qu'on charge pour réparer des
camouflets en cas de besoin, et on continue les sapes russes.
La grande sape vers la route de Lille (6) est
poussée très activement (9m en 24h), malgré les très grosses
difficultés pour l'aération. L'évacuation des terres et les
précautions à prendre pour ne pas signaler la présence à
l'ennemi.
mercredi 28 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 28 janvier 1915
Le camouflet est donné ; le but est
atteint ; la charge explose un peu en avant de la tranchée
allemande en (alpha). On repart en mine derrière le bourrage suivant
(beta). On commence les tranchées de dédoublement AD, CC, D et un
nouveau boyau en arrière de B12.
mardi 27 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 27 janvier 1915
Continuation des mêmes travaux. En outre on
attaque un retour en rameau, dans la sape russe (8) qui a servi au
fourneau (A), pour faire sauter le nœud de sape (9). On entend vers
le soir, les Allemands venir dans le chemin creux contre notre sape
russe (2). Les bruits du travail sont très distincts. On prépare
aussitôt une charge de 100 kg de poudre pour leur donner le
camouflet.
lundi 26 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 26 janvier 1915
On s'aperçoit au matin que les Allemands ont
garnis leurs premières lignes de défenses accessoires. La cheminée
de l'usine de Roclincourt qui leur servait de repère d'artillerie
est abattue par nous, à l'aide de 20 kg de mélinite à la base en 3
charges concentrées.
Il y a en cours : la sape russe vers le pont
de pierre, de laquelle on entend distinctement la 17/1 qui vient vers
nous. 2) 2 écoutes au nord ; 3) la sape russe vers la route de
Lille (2). 4) une écoute en (6) partant de l'entonnoir résultat du
camouflet du 23. 5) l'écoute 7 ; 6) l'écoute (8) ; 7) la
sape russe sous le chemin creux (3).
vendredi 23 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 23 janvier 1915
Au matin, l'explosion du fourneau de contre-mine
en M est bourré et le résultat pleinement atteint. Les fouilles
permettent de découvrir le cadavre d'un pionnier ennemi dans un
rameau bouleversé, se dirigeant vers nos lignes.
Continuation des travaux.
jeudi 22 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 22 janvier 1915
Mêmes travaux. La pluie détrempe le sol, la boue
encombre les travaux. On doit nettoyer pour assurer les relèves :
l'avancement des sapes russes est ainsi retardé. Vers le soir, avis
est donné par l'infanterie que les Allemands travailleraient en mine
vers notre boyau de 1ère ligne n M. Immédiatement une contre-mine
est entreprise pour donner le camouflet s'il est nécessaire, et
toutes les précautions sont prises pour que nous occupions
l'entonnoir au cas où l'explosion allemande nous devancerait.
Il y a en cours, à l'heure actuelle :
1) la sape russe vers le pont de pierre :
écoute des xxx à parer à un travail de mine allemand contre nos
2ème ligne.
2) une écoute commencée dans le même but en
(5).
3) la sape russe vers la route de Lille.
4) l'écoute de contre-mine vers M.
5) L'écoute vers l'entonnoir 7.
6) La sape russe sous le chemin creux (3).
mercredi 21 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 21 janvier 1915
Continuation des travaux. La sape russe (2) vers
la route de Lille est poussée le plus activement possible mais sa
grande longueur (50 m) rend le travail pénible. On pratique dans le
ciel des évents d'aération.
2 camouflets allemands sont donnés vers le matin,
mais s'assènent à aucune de nos sapes russes. L'ennemi manifeste
ainsi sa crainte de nos travaux de mine.
mardi 20 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 20 janvier 1915
Le fourneau de la route de Lille est chargé. Il
n'est pas situé de l'autre côté de la route, mais sensiblement
dans l'axe.
L'explosion est donnée. Ainsi qu'on le pensait le
résultat cherché n'est pas entièrement atteint. Les projections
sont principalement dirigées sur nos tranchées. Néanmoins
l'entonnoir est immédiatement occupé par le sergent de Pionnier
Perrin qui s'élance courageusement à la tête de 4 sapeurs et 3
pionniers. L'organisation est commencée et les sapeurs jettent des
bombes sur le barrage allemand situé au sud. L'attaque vers l'ouest
de la route (secteur Ecurie) n'ayant pas donné les résultats
attendus, on évacue l'entonnoir en bon ordre. La situation étant
rendue critique par les feux xxxxx et le lancement violent de bombes
ennemies. Le sergent Perrin est blessé. Les s/m Martial et Giraud
Pierre tués.
Le résultat n'est donc pas atteint. On continue
donc les sapes russes commencées, particulièrement la sape (2) qui
permettra sous quelques jours d'atteindre le résultat cherché.
Citation de la Compagnie 14/5 à l'ordre de
l'armée(1)
Les efforts incessants fournis par la Cie 14/5 ont
leur récompense. L'ordre de l'armée n°45 dont une copie est
intercalée ici est notifié à la compagnie 14/5.
Blessés : Bouchier (sergent), Pallier o/m
Tués : Girard Pierre, Martial s/m
Antonin Marie MARTIAL Mort pour la France
Pierre Firmin GIRAUD Mort pour la France
(1) Voir page 20 du JMO
dimanche 18 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 18 janvier 1915
Les travaux sont continués. On pousse activement
la sape russe se dirigeant vers la route de Lille.
s/m Aubert blessé.
vendredi 16 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 16 janvier 1915
Continuation des travaux ci-dessus. La sape russe
& rameau vers le pont de pierre est également poussée, pour
raccordement avec la Cie 17/1 M qui vient vers nous en rameau, de
l'autre côté de la route de Lille ; pour prévenir une attaque
en mine allemande sous la route de Lille.
Tués à l'ennemi : sapeurs territoriaux Bluet et Journel
jeudi 15 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 15 janvier 1915
Le fourneau A (voir nouveau plan) est amorcé à
nouveau. La mise de feu a lieu à 7h. L'explosion est le signal d'une
attaque qui ramène notre situation à l'état indiqué par le
croquis.
On continue la sape russe 1, 2. On établit une
nouvelle écoute 3. A l'est du chemin creux, une tranchée allemande
B est occupée et prolongée vers la tranchée B12.
O/m Albert blessé.
mercredi 14 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 14 janvier 1915
L'explosion est faite à 7h, une attaque
d'infanterie simultanée permet de reconquérir tout notre système
de mines entre la route de Lille et le chemin creux. Notre ancien
fourneau (2') est retrouvé non débourré et encore probablement
chargé. Les couleaux
détonants seuls sont coupés.
83 prisonniers bavarois.
lundi 12 janvier 2015
Dernière page du carnet
Je t'envoie ce carnet de notes, tu pourras les compulser, il y a
quelques détails intéressants. C'est assez décousu dans son
ensemble, mais on ne peut guère faire mieux, ou alors il faudrait un
journal tout les huit jours, ce qu'on n'a pas le temps de faire.
Tu me conserveras précieusement ce carnet. Si j'en reviens cela me constituera plus tard un souvenir des jours terribles. Dans le cas contraire, tu le remettras à ma femme et à mon fils qui pourront le lire et connaître ce que c'est que la guerre et ce que l'on y souffre. Ce que je leur ai caché jusqu'à ce jour.
Tu me conserveras précieusement ce carnet. Si j'en reviens cela me constituera plus tard un souvenir des jours terribles. Dans le cas contraire, tu le remettras à ma femme et à mon fils qui pourront le lire et connaître ce que c'est que la guerre et ce que l'on y souffre. Ce que je leur ai caché jusqu'à ce jour.
Avec ces impressions s'en vont aussi toutes mes pensées et affections pour toute la famille, et vous embrasse tous.
Émile Pons, le 12/1-15
Mardi 12 janvier 1915
C'est ma dernière
journée de repos, j'irai au travail demain à midi. Il n'y a pas à
dire, vivre en arrière il y a la nuit et le jour comme différence
avec les tranchées. Ici à Saint-Aubin on respire, et on est en
pleine tranquillité, malgré les quelques obus qui tombent parfois,
car on ne craint que cela.
On est donc dispensé
des balles, des bombes et explosions de mines, qui ne sont pas
épargnées en première ligne. Continuer la campagne, comme ceux qui
restent toujours à l'arrière, est en somme, sinon très agréable,
peu dangereux, car on arrive à coucher sur un lit, et on est
toujours propre et les pieds au sec, bonne table, la solde assez
forte, que peut-on désirer de plus ? Il y en a qui voudraient
que cela dure longtemps, car ils gagnent de l'argent plus que dans
leur vie civile et encore moins de travail. Mais ce n'est pas le cas
de tout le monde.
Comme nourriture, pour
le moment, on est très bien. Le menu est assez varié, vin, un quart
tous les jours, la viande toujours tendre, et nous avons plus souvent
des pommes de terre. Du riz, on en sert moins à présent, on
commençait à ne plus pouvoir le sentir. Hier, nous avons mangé des
haricots verts, ils étaient délicieux aussi il n'en est pas resté.
Comme on doit le penser, c'est la première fois que cela arrive,
mais il faut espérer que cela ne sera pas la dernière. Du miel
aussi, voilà qui m'a épaté, et nous en avons souvent, et il est
très bon. C'est du miel blanc. Je ne sais pas d'où il vient mais on
le préfère au gruyère ou aux sardines qu'on nous fourrait tous les
jours dans les débuts.
Il y a aussi tous les
jours de l'eau de vie, et il est défendu aux cafetiers d'en vendre.
Pour ce que l'on peut
trouver à acheter dans la localité, c'est très peu, et on le paie
naturellement le double de sa valeur. Le vin 2 francs le litre. Il
n'y a que la bière qui ne soit pas chère, 2 sous la chope, mais il
est vrai que ça ne vaut pas grand chose, et c'est à peu près tout
ce que l'on trouve.
Pour ce qui est de la
situation, de notre côté c'est toujours la même chose depuis trois
mois. Car on occupe toujours les mêmes positions, si l'on n'a [pas]
avancé, cela ne prouve pas que l'on ne se fait pas de mal, il y a
des pertes tous les jours, mais moins élevées qu'au début de la
guerre. En tout cas elle est plus terrible qu'au début, car on se
bat de plus près, et c'est plutôt un carnage qu'autre chose car les
blessures provoquées par les bombes sont terribles, et c'est ce qui
est devenu l'arme de circonstance pour la tranchée de tuer à coups
de paquets de mélinite ou de dynamite. Il y en avait peut-être bien
peu qui avaient prévu cela. C'est la nouvelle arme de la
civilisation, qu'est-ce qu'on trouvera encore comme engin de
destruction d'ici à la fin de la guerre ? Cela ne pourra être
que de plus en plus terrible.
Ceux qui auront la
chance de pouvoir sortir sains et saufs de cela pourront faire brûler
un beau cierge à leur saint, mais ils ne seront guère épais ceux
qui n'auront pas eu une égratignure.
dimanche 11 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 11 janvier 1915
Le s/m Lieutard est tué à l'ennemi. Une tranchée
est établie en arrière de la tranchée MN suivant 2 têtes de sape.
Il y a en cours : la sape russe (d) ; la
sape russe (h); la sape russe (i) ; 2 écoutes en rameaux au
chemin creux (q) et près de l'entonnoir (r) et les tranchées à
l'est du chemin creux près d'être terminées.
Henri Joseph LIEUTARD Mort pour la France
Henri Joseph LIEUTARD Mort pour la France
Lundi 11 janvier 1915
Dans cette nuit, vers
une heure du matin, je suis réveillé par un bruit de voix. Ce sont
un lieutenant et deux tirailleurs qui arrivent d'Écurie. Les
malheureux ont été enlisés et ont de la boue jusque sur la tête.
Ils sont arrivés sans souliers et sans pantalons, qu'il a fallu
qu'ils laissent dans la boue. J'en conclus par là, qu'il n'y a pas
que dans notre secteur qu'il y a de la boue. D'après le journal, du
côté de Souchez, on a dû abandonner des tranchées, car il était
impossible d'y aller. Il faut croire qu'il y a quelque chose.
Dans la nuit, il a plu
de nouveau, mais ce matin le temps [est] de nouveau bien clair, et
c'est ainsi tous les jours. De cette manière l'état des chemins et
tranchées ne s'améliore jamais.
À une heure de
l'après-midi nous avons accompagné, à sa dernière demeure, notre
infortuné camarade Mounier, tué par un obus samedi dernier. On a
mis ses restes dans un cercueil et inhumé derrière le cimetière,
car celui-ci est déjà plein, et on en crée un autre à côté.
Nous avons fait venir un prêtre de Sainte-Catherine, c'est le même
qui vient souvent dire la messe. Tous les gradés et sapeurs présents
au cantonnement ont assisté aux obsèques, qui ont revêtu un
caractère grandiose dans leur simplicité. C'est un triste moment
qui amène d'amères réflexions.
Nous avons entre
sous-officiers innové une coutume, c'est d'acheter un souvenir que
l'on adresse à la famille du disparu et où sont gravés avec le nom
du défunt « souvenir de ses camarades » et le numéro de
la compagnie. C'est une plaquette allégorique or et vermeil d'une
valeur de 60 à 70 francs. Souhaitons en acheter le moins possible.
Mais notre catégorie paie son tribu comme les autres.
Les batteries, qui sont
en avant de Saint-Aubin, ont été encore arrosées de marmites mais
cela ne cause aucun dégât. Cela touche rarement les pièces, et les
artilleurs se mettent dans leurs abris, aussi est-ce rare les pertes
chez eux.
J'ai lu aujourd'hui les
discours des Présidents de la Chambre et du Sénat. Ils sont
affichés à la mairie, et le texte est plein de patriotisme ardent,
et on lit, entre les lignes, le concours prochain d'autres nations
qui viendront aider à défendre le droit et la liberté.
La situation aux
tranchées est toujours à peu près la même ; les Allemands ne
tirent pas et les camarades disent qu'ils seraient obligés
d'abandonner la première ligne si c'était comme avant, car ils
sortent à mi-corps de la tranchée. Cela me paraît bizarre que,
pouvant tirer des Français à découvert, ils ne le fassent point !
Quel jeu jouent-ils, en ont-ils assez, ou bien préparent-ils un
grand coup en montrant leur peu d'activité ? J'ai bien peur que
nous soyons leurs dupes. Car je l'ai déjà dit plus haut c'est quand
ils font des avances qu'il faut le plus se méfier.
Je me suis fait
vacciner ce matin. Ce n'est pas le diable, mais la douleur se fait
sentir pendant un jour ou deux et j'ai toute l'épaule endolorie.
Après cela on a deux jours de repos. L'on doit se faire vacciner
trois fois à huit jours d'intervalle et en augmentant la dose de
sérum.
Encore un sapeur tué
aujourd'hui en revenant du travail. C'est une balle qui l'a attrapé
en pleine tête.
samedi 10 janvier 2015
Dimanche 10 janvier 1915
Aujourd'hui le soleil a
enfin daigné se montrer, et par miracle, nous avons eu un ciel bleu
toute la journée. On croirait une journée de printemps. Cela suffit
pour nous remettre en gaîté et nous faire oublier les souffrances
de ces jours derniers.
Tout le long des
palissades on voit des capotes et pantalons qui sèchent, chacun
essayant de les nettoyer, et on racle la boue au moyen d'un couteau
car il y en a un cent[imètre] d'épaisseur. Mais les vêtements
restent marrons, il faudrait pouvoir les laver.
Comme si c'était fête
sportive, les aéro[planes] et ballons captifs étaient dans le ciel.
Il y avait longtemps qu'ils n'étaient sortis, aussi aujourd'hui ils
s'en paient. Les polochons allemands, aujourd'hui on en voit deux,
font tirer la grosse artillerie et les marmites tombent sur des
meules à deux cents mètres de la route. Ils cherchent les
batteries, qui en ce moment restent muettes. Personne ne tourne
autour quand les ballons lorgnent. De nombreux obus éclatent
au-dessus de notre patelin, car les avions le survolent, et ce doit
être des Taubes, il faut se mettre à l'abri car les éclats tombent
un peu partout.
Ce jour, voilà à peu
près 3 mois, que nous sommes sur le théâtre des opérations, et
notre front n'a pas changé sensiblement, toujours les mêmes lignes
de feu, et cette situation peut encore se prolonger longtemps ainsi.
D'après ce qu'a dit le général Quiquandon aujourd'hui, nous ne
ferons que maintenir nos positions et ce sera d'autres troupes
fraîches qui prendront l'offensive ; il est clair que ce ne
peut-être les hommes qui sont là depuis 4 mois. Il a l'air de
regretter de ne pouvoir être appelé à conduire les troupes en
avant. Mais celles-ci ne demandent pas mieux et ne serait pas fâchées
de pouvoir un peu se reposer. Serons-nous relevés ? Pour ma
part, je ne le crois pas. Nous resterons là, et l'offensive se fera
sur d'autres points. Nous ne ferons que suivre les fluctuations de la
marche en avant ! Cela ne veut pas dire pour cela qu'on soit à
l'abri des coups, car pendant qu'on cherchera à percer le front
allemand par ailleurs, ceux-ci pourront essayer de percer vers nous
et on continuera à se battre. Enfin, il faut avoir confiance puisque
l'on parle d'offensive. Il faut croire qu'il y a, quelque part, une
armée prête pour cela.
Pour moi, mon nez finit
par guérir, c'est moins grave que je ne l'avais cru tout d'abord, et
l'os n'a pas été tranché. Par conséquent la chair guérit vite.
J'ai évité par cet accident 8 jours de mauvais temps, l'un compense
l'autre.
Demain lundi, on me
vaccinera contre la fièvre typhoïde, ce n'est pas un mal car il
s'est produit quelques cas dans la compagnie, et il y a beaucoup
d'évacués. Cela provient-il de l'eau, qui ma foi n'est pas bien
bonne, ou de l'excès de fatigue et des refroidissements causés par
l'humidité continuelle, et on dort au froid et au courant d'air, sur
de la paille qui n'est pas précisément sèche.
Je suis toujours
installé à la tribune de l'église, et suis en somme au premier,
partie relevée, c'est très bien comparé au confort de ceux qui
sont sur le parterre de l'église. Celle-ci présente tous les jours
un aspect bizarre. Le soir, on dirait un campement indien, le matin
un hôpital car tout le monde tousse, d'autres ont des pansements
pour les blessures légères, ce sont ceux qu'on [n']évacue pas et
qui restent dedans.
Pour dire la messe le
dimanche, on écarte un peu la paille, enlève les sacs et on met
quelques chaises que viennent occuper quelques femmes du village. Il
y aurait un cliché à prendre et ce ne serait pas banal.
vendredi 9 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 9 janvier 1915
Les Allemands bombardent nos lignes, après un
violent feu de notre artillerie sur leur tranchée.
Le sergent Mounier-Poulat est tué par un obus.
Les travaux sont continués.
Prosper Victorin Alexis MOUNIER POULAT Mort pour la France
Samedi 9 janvier 1915
Hier les camarades, en
rentrant, m'ont raconté un fait extraordinaire et que je ne croirais
pas si tous ne me disaient la même chose. J'ai déjà dit que l'état
des tranchées était pitoyable, car j'ai vu des hommes rentrant à
Anzin sans chaussures, sans pantalon, ceux-ci étaient restés dans
la boue pendant qu'on retirait les malheureux. Il y en a qui sont
restés là pendant 10 heures de temps sans pouvoir bouger. On dit
même, et cela fait frémir, qu'il y en auraient qui aurait
complètement disparu dans la boue, et moi, qui connaît le terrain,
en ai la ferme conviction. Mourir ainsi, quel affreux supplice, pour
celui qui est condamné à périr ainsi faute de secours. Il me
semble qu'on doit devenir fou auparavant.
J'en reviens au fait
extraordinaire. Vers une heure, les boches se sont de nouveau faits
voir dans leurs tranchées et notamment à l'entonnoir qu'ils nous
ont pris. Puis chez nous on commence à se montrer. Du côté ennemi,
on a lancé une boîte de sardines qu'un zouave est allé ramasser,
tout ça fait à découvert et à 7 à 8 mètres des boches ;
rentré dans sa tranchée, on envoie un paquet de tabac et on invite
un Bavarois à venir le chercher. Ce qu'il fait, et on l'invite à
boire un coup, et c'est un adjudant de chasseurs qui lui passe son
bidon d'eau de vie, après avoir bu pour montrer que le liquide était
bon. Le boche s'en empiffre une belle gorgée, après quoi il se mit
à rire pendant un bon moment comme un fou. De quoi riait-il ?
De bon cœur ou de la bêtise des Français, on le verra plus tard.
Retourné à sa
tranchée qui n'est éloignée que d'une dizaine de mètres, les
boches font de nouveau signe de venir, et le zouave va de nouveau à
leur tranchée et il reçoit comme cadeau une belle boîte pleine de
cigares qu'il rapporte bien tranquillement. Et pendant tout ce
manège, Français et Allemands sont assis au sommet du parapet ou
sortent à mi-corps de la tranchée et cela sur 3 ou 400 mètres de
long. Les casques à pointes sont mélangés aux bérets des
Bavarois. Mais quelqu'un vint troubler la fête, c'est le 75, sans
doute averti par un officier de ce qui se passait, et tout le monde
rentre au plus vite dans son trou, mais pas un coup de fusil ne fût
tiré, et bon nombre d'hommes se retournant de la première ligne,
étant relevés, ne passèrent pas dans les boyaux mais à travers
champs, préférant recevoir une balle de suite, que de continuer à
souffrir. Mais à leur stupéfaction, ils s'en allèrent
tranquillement.
Il faut croire que de
l'autre côté les boches étaient dans la mélasse comme nous, et
souffrant du même mal, évitaient de l'aggraver, à moins que leurs
fusils fussent pleins de boue comme les nôtres. D'après l'avis de
tous, si une ou deux compagnies s'étaient amenées l'arme à la main
et pouvant tirer au moindre mouvement, elles prenaient tous les
hommes qui étaient dans les tranchées autant d'un côté comme de
l'autre, car il était impossible de pouvoir bouger avec de la boue
jusqu'à la ceinture et encore moins tirer un coup de fusil. Il ne
restait qu'à se rendre. La nature avait pour un moment fait une
trêve entre les combattants.
À présent, que
veulent dire toutes ces ambiguïtés de la part des boches, car avec
leur fourberie, qui leur est coutumière, cela doit avoir un but pour
eux d'agir ainsi, et non de bons sentiments. Leurs amabilités du 31
décembre nous valurent le plaisir de sauter et les attaques du 4 !
Que nous réservent celles-ci ? Est-ce pour endormir notre
méfiance, et nous faire croire à leurs bons sentiments, cela ils ne
peuvent en avoir, et plus que jamais l'on doit se méfier.
Ce matin, samedi, ils
ont recommencé le même manège, et un zouave ou chasseur a été
boire le café chez les boches, mais les officiers ont fini par
mettre fin à cela en tirant quelques coups de fusil, et on a de
nouveau fait tirer le canon. Nous sommes trop bêtes, nous Français,
on prend au sérieux des choses telles qu'on nous les fait voir et on
croit que c'est arrivé, mais on le paie durement.
Aujourd'hui, à 4
heures environ, j'apprends la mort tragique d'un de mes camarades, un
sergent, qui a été tué à midi par un obus qui lui a éclaté en
plein dessus. Pauvre camarade, on n'a retrouvé de son corps que des
débris, qu'on a recueillis et ramenés. On enverra les quelques
objets qu'il avait sur lui à sa femme, et ce seront de précieuses
reliques pour elle. Il avait une femme, un enfant tout jeune, je
compare sa situation à la mienne, et vois d'ici la douleur de sa
pauvre femme.
Il faut avouer que
l'avenir n'a rien de bien souriant et les tableaux sanglants que l'on
a tous les jours sous les yeux ne sont pas faits pour nous
encourager. Néanmoins, il faut toujours aller de l'avant, un de
mort, l'autre le remplace et le vide est momentanément comblé.
Heureusement que
l'avenir nous est caché, et l'on a toujours l'espérance, jusqu'à
ce que l'on tombe à son tour, et la noire tournure, une fois de
plus, le vide sera comblé. Qu'est-ce un homme dans cette fournaise,
un grain de sable, une goutte d'eau, mais il y aura un peu partout
dans tous les coins de France, des cœurs brisés, des larmes
versées. Ceux qui seront morts ne souffriront plus, mais partent
avec la douleur de laisser la douleur derrière eux, et la misère au
foyer.
Roclincourt, Écurie,
quels noms funestes que ceux-là et que de sang aura coulé aux
environs, et de quels affreux carnages auront-ils été témoins ?
Écurie n'existe en réalité que de nom car de maisons, il n'y en a
plus, c'est la désolation même, et tous les jours quelques obus
viennent encore abattre quelques pans de mur.
Et cette belle route de
Lille, qu'est-elle devenue, de grands trous produits par les marmites
l'ont déformée un peu de partout. À certains endroits, on l'a
dépavée de ses moellons pour en former des barricades. Les arbres
en bordure sont hachés par les obus ou les balles. Les uns sont
coupés par le milieu, les autres ont leurs branches qui pendent
lamentablement et cela sur des kilomètres. Sur les arbres, qui sont
au-dessus des tranchées, on y voit accrochés des lambeaux de
vêtements, et un homme y a resté accroché pendant plusieurs jours.
Il a été projeté dans cette position par les bombes. Ceux qui
aiment les sensations, ou qui courent le monde afin de s'en procurer
à prix d'or, peuvent venir ici. La vue ne coûte rien, et on peut
devenir acteur.
Nous avons eu de
terribles pertes dans ce secteur, un enfant du pays, Fine Joseph du
Grand Villard, charpentier, a été tué. Beaucoup d'autres sont
blessés, plus ou moins grièvement. On comble nos vides avec les
zouaves, mineurs de profession, qui sont pris dans les régiments de
zouaves. Du jour où nous serons appelés à faire un pont, on n'aura
presque plus de sapeurs. D'après certains, qui correspondent avec
l'autre compagnie du Génie de Briançon, la 14/6 qui est aux
environs de Reims, ils n'auraient jusqu'à ce jour que 2 tués et 3
blessés. Quelle veine, ils doivent être en paix en comparaison
d'ici et ils comptaient nous apprendre une nouvelle en nous apprenant
cela. Et qu'ils travaillaient à 150 mètres des Allemands. Mais cela
changera peut-être aussi pour eux, et cela du soir au lendemain,
qu'ils s'estiment heureux.
jeudi 8 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 8 janvier 1915
Sur les renseignements donnés par un prisonnier,
ordre est transmis de commencer immédiatement un rameau d'écoute
(i) et de contre-mine pour arrêter un rameau ennemi se dirigeant
vers notre barrage de la route de Lille pour le faire sauter. On
travaille également à l'est du chemin creux pour établir des
tranchés de tir en (l).
Les tranchées et les boyaux sont pleins d'une
boue épaisse. La relève d'infanterie ne peut s'effectuer, les
hommes restant enlisés. Nos travaux sont retardés : il faut
nettoyer les boyaux.
Blessé : Allemand Marin o/m
Vendredi 8 janvier 1915
J'ai toujours mon
pansement sur le nez, celui-ci après avoir enflé, est presque
revenu à son état normal, il n'y a plus que la blessure à
cicatriser néanmoins. Je ressens une douleur jusqu'à l'arcade
sourcilière, mais cela disparaîtra avec le temps.
Les attaques pour
reprendre le terrain perdu continuent, mais sans aucun résultat car
on nous tient à distance avec les bombes, et celui qui lance et tire
le coup empêche l'adversaire d'avancer. On me rapporte que les
Allemands nous ont encore pris deux petits postes, et toujours sans
tirer rien qu'avec des bombes, et elles s'amènent par douzaines. Il
est matériellement impossible de résister à ce terrible engin.
Depuis mardi on ne se bat plus qu'avec cela, et les tranchées sont
remplies de cadavres, et les blessés qui hurlent de douleur, car
dans ces moments critiques défense de ramasser les blessés et bon
nombre meurent faute de soins, ou écrasés par les vivants. Quelle
vision et quelle angoisse dans l'âme de ces pauvres malheureux qui
voient allonger leur martyre. L'enfer décrit par Dante n'est rien
comparé à celui là, on ne peut pas entrevoir plus terrible. Les
souffrances physiques sont encore augmentées depuis deux jours par
la pluie qui tombe. D'après ceux que je vois revenir des tranchées,
et les camarades qui me le racontent, on ne marche plus, on nage dans
la boue. Il y en a jusqu'au ventre, et il faut vivre là-dedans. Ceux
qui viennent d'arriver sont lamentables, couverts de boue jusqu'à la
tête. Les fusils en sont pleins aussi, et il est impossible de s'en
servir. Un zouave vient d'arriver, le pauvre garçon est devenu
simple d'avoir souffert et, à découvert dans les champs, est revenu
dans un état abominable, pas une balle qui lui ait été tirée, il
faut croire que dans les tranchées ennemies il y a comme dans les
nôtres, et que les Allemands sont dans l'impossibilité de bouger.
Un fait pour n'en citer
qu'un, le zouave cité plus haut a sorti 4 à 5 territoriaux qui
étaient enlisés, et à un, pour le sortir on lui a cassé la jambe.
Voilà sous son réel aspect, la guerre telle qu'on la fait à
l'heure actuelle.
En trois jours, notre
compagnie a perdu 40 hommes, y compris les zouaves qu'on y a
affectés. Il y a eu des pertes de notre côté, mais les cadavres
allemands sont nombreux aussi dans les tranchées, et en certains
endroits cela arrive à hauteur du parapet. J'étais incrédule,
quand autrefois, je lisais dans les journaux qu'on faisait des
remparts avec les cadavres, mais ici, je n'ai pas pu le voir de mes
propres yeux, mais il est réel qu'on a fait une barricade sur des
cadavres et en s'aidant de ceux-ci ; on ne les a retirés qu'un
jour après, quand on a pu. C'est la guerre et toutes ses horreurs,
nous sommes loin de la guerre qu'on s'est plu, dans son imagination,
à voir si l'on peut dire grandiose, et à mon idée elle perd de son
cachet et n'est plus qu'un vulgaire carnage dont les plus froids
bouchers n'oseraient en regarder les victimes ; et pourtant, on
reste là, et on y revient quoique l'on sache que la mort vous
guette, vous y attend, mais c'est l'espérance qui vous soutient,
l'on se dit peut-être j'en réchapperai, mais ils seront peu
nombreux ceux-là qui pourront faire la campagne sans arrêt
douloureux, et cependant désiré.
Dire que des milliers
d'hommes souffrent et vivent des jours que les forçats n'ont jamais
connus, et cela par la folie d'un homme. Il faut croire que leur
intérêt est au-dessous de celle de la bête car celle-ci ne
commettrait pareilles atrocités. Si après cette tourmente, les
hommes ne deviennent frères et ne peuvent s'entendre pour une paix
durable, c'est à désespérer de l'humanité et du siècle dans
lequel nous sommes. Mais la leçon, dure et terrible qu'elle est,
sera profitable, et on dépensera, en bien, l'énergie et l'argent
que l'on mettait au mal.
Ce matin on a enterré
au cimetière le commandant de zouaves, de Robine, tué à l'attaque
de jeudi. C'était un vieux brave, il était depuis deux jours nommé
lieutenant-colonel à un régiment de territoriaux. Il avait 64 ans,
mais avait tenu à assister à l'attaque avec ses zouaves. Il n'a
fait qu'augmenter le nombre de ceux qui tombent à Roclincourt. Ce
pays pourra rester libre car des milliers d'hommes versent leur sang
dans ce coin de terre. Si, sur tout le front, il en tombait autant
que là, la guerre finirait bientôt faute de combattants.
En ce moment le canon
gronde. Est-ce une attaque, je ne sais, on se méfie, car les
prisonniers, qu'on a faits mercredi, ont dit qu'ils avaient reçu
l'ordre d'être à Arras le 8 et c'est aujourd'hui. Que va-t-il
advenir, vont-ils effectuer une poussée pour percer notre front, en
cela ils ne réussiront pas.
mercredi 7 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 7 janvier 1915
On entreprend une sape russe h destinée à faire
sauter le barrage Allemand de la route de Lille. Le mauvais temps
contrarie les travaux en cours. Les Allemands ne témoignent pas
d'activité.
mardi 6 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 6 janvier 1915
Le rameau e est abandonné, les Allemands rendant
impossible la circulation vers la tranchée au dessous de 2. On
entreprend une tranchée en sape suivant la direction f9.
Blessé : Polais s/m
lundi 5 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 5 janvier 1915
La sape MN est établie pour relier la tranchée
B12 avec celle se rendant au pont de la route de Lille. On essaie de
dégager la sape russe vers le fourneau 3' mais elle est presque
complètement éboulée. On entreprend 2 nouveaux rameaux en d et e,
puis des écoutes partants de la tranchée B12 : e.
Perte de la journée :
Tués : Bard, Fine Joseph, Jouberjean
Blessés : Ollier s/m, Ferrand s/m, Faure
Louis s/m, B. Martin
Disparus : Arnavon s/m, Dupuis s/m
Joseph FINE Mort pour la France
Jean Louis
BARD Mort pour la France
Etienne
Julien JOUBERJEAN Mort pour la France
Aimé
Augusting ARNAVON Mort pour la France
Mardi 5 janvier 1915
Me voilà avec un
bandeau sur le nez, ce n'est pas grave heureusement, et j'avais
entrevu hier mon dernier jour.
Voilà ce qui est
arrivé. Hier lundi, nous partons aux tranchées à 4 heures pour
faire la relève à 6 heures du matin. Tout marche normalement, vers
8 heures comme je me trouvais en première ligne devant la sape
russe, je me sens secoué violemment, et j'ai l'impression d'avoir un
poids formidable sur les épaules et comme si on m'enlevait la peau
du crâne ; au même moment 2 ou 3 formidables explosions se
font entendre, et je vois la terre rejetée en l'air. Mon premier
mouvement est de me mettre dans la sape pour ne pas recevoir la terre
sur la tête. Sitôt après, je sors avec les hommes qui
travaillaient dedans. Tout de suite l'idée me vient que c'est notre
fourneau [qui] a sauté par imprudence, mais non, ce sont les
Allemands qui nous ont devancés et nous font sauter. Il y a de
l'affolement parmi tous, et une bousculade me porte à 15 mètres
plus loin dans la tranchée. Croyant à une attaque de force, je
monte à un créneau et avec quelques zouaves fais feu sur la
tranchée en face de la nôtre, mais tout est calme de ce côté là.
En tournant la tête à
gauche, j'aperçois des hommes qui viennent vers l'entonnoir, ce sont
des Allemands qui viennent à l'assaut. Le malheur, ou la déveine, a
voulu que je tombe sur un fusil non approvisionné et rouillé, et ce
n'est qu'avec peine que je peux fermer la culasse. Le mien et mon
équipement sont restés vers l'entonnoir. On a pas le temps de tirer
sur les assaillants, car le mauvais état de la tranchée ne nous
permet pas de tirer de ce côté facilement. D'autre part, plusieurs
disent ce sont des zouaves, et la plupart sont indécis. Je prends
quelques cartouches, et charge mon fusil. Dans la tranchée on
demande du génie pour former une barricade, je m'avance, suivi d'un
homme, et arrive en tête pour faire ce qui est demandé. Comme je
lève les bras pour atteindre un tas de sacs à terre formant
portique, un Bavarois sort à 10 mètres et fait un saut en arrière,
je prends vivement le fusil que j'avais quitté et comme le Bavarois
s'avance de nouveau, le fusil près à tirer, je lui tire dessus et
le vois tomber à la renverse. Est-il tué ou blessé, je ne pourrais
le dire !
Toujours c'est
impossible de monter une barricade en cet endroit. Comme j'avais
aperçu des hommes qui descendaient plus bas à notre gauche, j'ai
l'impression qu'on nous encercle, et prends le boyau qui conduit en
2e ligne. Je saute, suivi d'un zouave, un homme qui est étendu la
face contre la terre. C'est peut-être un blessé qui est venu mourir
là, ou bien un obus qui l'a atteint car cela pleut de tous côtés.
C'est un chambard infernal ; à l'endroit où je rejoins la 2e
ligne il n'y a plus un homme, on a évacué. Je me retire donc vers
le chemin creux et à 10 mètres du poste de téléphone, je
rencontre les premiers zouaves que l'on a ramenés en arrière, et
leur dis de faire feu car les boches arrivent dans la tranchée. Mais
comme celle-ci n'est pas d'un alignement parfait, ils ne les voient
pas. J'ai monté dans une guitoune et suis en surélévation de 80 cm
et vois, par dessus, la tête de quelques zouaves. De l'autre côté
du poste de téléphone, deux boches sont là et tirent sur nous. Sur
moi notamment car ils m'aperçoivent [en] premier. Je riposte ;
j'aperçois bien le petit nuage de fumée produit par le coup qui
part, au deuxième coup que je tire un boche disparaît, l'ai-je
touché, il y a des chances. Au moment où je recharge, l'autre tire,
et je reçois un atout en pleine figure qui m'étourdit. Je lâche,
malgré moi, le fusil et tombe à terre, mais me relève presque
aussitôt. J'ai du sang qui coule par le nez et la bouche, mais je me
rends parfaitement compte que si c'était la balle qui m'avait
attrapé, j'aurais la tête traversée, tandis que la douleur n'est
qu'au nez. Je passe à l'arrière pour me faire panser, et cela
saigne abondamment. Il est vrai que le nez pour moi c'est une
fontaine de sang, et j'y suis sensible, mais malgré cela j'ai la
narine percée en dessous de l'os et je respire par trois trous à la
fois.
Dans le boyau que je
suis, la réflexion me vient et la frousse du danger que j'ai connu
aussi. Jamais je n'ai vu de si près les boches et la mort non plus.
Je croyais ma dernière heure venue et ne plus sortir du champ de
betteraves. Mais ma bonne étoile veillait sur moi, et me fit sortir
de la mort par un éclat de balle dans le nez. Car c'est là que la
balle, qui m'était destinée, qui ayant tapé sur le parapet, m'a
envoyé un éclat par la figure. De si près, j'assure que l'on ne se
donne pas la peine de viser, on n'épaule même pas, on tire
toujours. Voilà pourquoi on risque d'être blessé, c'est la chance.
En venant au poste de secours j'ai encore eu quelques minutes
d'angoisse, produites par les obus qui arrosaient le boyau, un qui
tombe à quelques mètres derrière et qui n'éclate pas, un autre
qui tape juste à la place que je viens de quitter car je le sens
venir, et d'un bon me mets en contrebas. Il était temps, car celui
là éclate et fait ébouler le boyau. Quelques fusants arrivent en
même temps.
J'arrive enfin à
Roclincourt, où on me lave le nez, et on met provisoirement de la
teinture d'iode. Quelques minutes après, d'autres blessés arrivent
mais beaucoup plus gravement. Il y en a qui ont sauté par
l'explosion, d'autres ont été recouverts de terre, il y en a qui
sont revenus, d'autres sont restés et d'autres prisonniers.
Parmi ceux-là, il y a
2 ou 3 sapeurs qui n'ont pu sortir à temps des galeries. Dans une
autre, 2 zouaves ont été aplatis sous terre par un camouflet(1),
d'autres ensevelis jusqu'au cou. Un caporal, Bérard de Chantemerle,
a eu la jambe brisée, et c'est lui qui arrivant sur un brancard, me
donne ces détails.
De ce fait, notre
première ligne, entre la route de Lille et le chemin creux, est
prise ainsi que les entonnoirs. Un est le fourneau chargé que l'on a
pas pu faire partir. Tout le monde ayant été surpris. Vers 4 heures
du soir, il y a eu attaque pour reprendre le terrain perdu. Mais les
Allemands se défendent à coups de bombes, et on peut leur reprendre
par le même moyen quelques mètres de tranchées.
Quel carnage qu'il se
fait là dedans et quelles blessures horribles. Des blessés arrivent
à tout instant, aux uns il manque un bras, d'autres les jambes. La
chair est hachée, et cela ne saigne même pas. D'autres sont des
devenus fous, c'est l'effet de l'explosion, ainsi que ceux qui n'ont
aucune blessure et ne peuvent se servir de leurs membres ni se tenir
debout. Je m'en vais ne pouvant supporter davantage cette horrible
vision.
Dans la cour du poste,
un obus tombe qui tue un homme et en blesse sept autres plus ou moins
grièvement.
Je suis pansé à mon
arrivée au cantonnement, et on me dit que j'en aurai pour une
dizaine de jours, et je pourrai recommencer à me faire casser la
figure. C'est très consolant, mais il faut en prendre son parti, si
on sort d'ici ce ne sera qu'estropié ou fou, l'avenir n'est pas
rose.
(1) Charge
d'explosif destinée à détruire une galerie ennemie.
dimanche 4 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 4 janvier 1915
Les travaux
étaient poussés activement. Le bourrage des fourneaux 5 et 6 était
terminé à peu près, quand les Allemands font exploser 2 fourneaux
entre la route de Lille et le chemin creux en A1 et xxx. Le fourneau
a1 est occupé par eux, et toute la partie de notre système de mines
est envahie entre la tranchée B12 et la sape en T partant de cette
tranchée à gauche du pont du commandement.
Leur
fourneau B provoque des éboulements dans les rameaux 5 et 4. Deux
zouaves pionniers sont tués au fond du rameau 4, alors qu'ils
étaient occupé à terminer le bourrage. Le caporal Bérad et le
sergent pionnier Boudaux pris à l'entrée des rameaux en Y dans
la sape russe, sont dégagés.
Par suite
de cette double explosion, les Allemands sont maîtres de la plus
grande partie de nos travaux de mine. 2 contre attaques, conduites
surtout par les sapeurs avec des pétards, les obligent à évacuer
en partie le terrain conquis. Le bourrage des fourneaux 6 et 5
[celui-ci dégagé] est terminé. Ils explosent à l'est du chemin
creux, mais les Allemands occupent les entonnoirs. A la fin de la
journée, nous occupons les tranchées en bleu, de la page
précédente.
Perte de ce
jour :
Disparus : Borel
s/m, Rossu, Mazarin
Blessés :
Albrieux s/m, Bérad (cap), Ferrand (cap), Roux Léon s/m
samedi 3 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 3 janvier 1915
Les
fourneaux 4' 5' et 6' sont bourrés ou en cours de chargement. On
pousse activement le rameau pour le fourneau 3' et surtout pour le
fourneau 1'.
Les divers
bourrages doivent être terminés le 5 janvier à midi.
vendredi 2 janvier 2015
JMO Cie 14/5 du 2 janvier 1915
Le fourneau
2' est bourré. Des travaux allemands signalés en AB, à l'est du
chemin creux, obligent à établir 2 fourneaux supplémentaires.
Samedi 2 et dimanche 3 janvier 1915
Nous continuons à
faire nos mines, quelques unes sont déjà chargées, et on active
les autres pour les faire sauter toutes à la fois. On entend
travailler les Allemands, à côté de nous, paraît-il. J'ai écouté
plusieurs fois, mais je n'ai jamais rien entendu, coïncidence,
peut-être ?
Nous devons faire
sauter les fourneaux dans la nuit du 5 au 6, cela sera combiné avec
une attaque générale. Que va-t-il résulter de tout cela ?
Toujours des bombes sont jetées de part et d'autre. Quand on les
voit, on peut s'esquiver, mais leurs effets sont terribles et surtout
démoralisants.
jeudi 1 janvier 2015
Vendredi 1er janvier 1915
Ce jour de souhaits de
bonheur et longue vie, qui s'échangent habituellement, n'a plus sa
raison d'être ici, où le bonheur est exclu et où la vie compte si
peu, et rien n'est moins sûr que l'existence.
On rencontre un
camarade. Serrement de mains. Bonne chance. D'autres vous souhaitent
une balle dans une jambe ou dans un bras, la blessure rêvée, qui
vous enverra un mois dans un hôpital. Ce qu'il en est à la guerre ;
souhaiter du mal de ce genre à un camarade, c'est du bien qu'on leur
veut. Mais les blessures viennent assez vite pas besoin de les
souhaiter.
Ce jour me paraît
triste, et ma pensée se reporte bien loin là-bas dans toute ma
famille, et je pense que pour eux non plus ce ne doit pas être gai.
Ce premier jour de
l'an, où tous les parents se réunissent pour renouveler leurs vœux
et resserrer les liens d'affection, nous trouve tous dispersés, et
je vois des vides dans toutes les maisons. Les vœux que je forme moi
de toute mon âme, c'est après toutes ces épreuves et jours
terribles passés, nous puissions tous nous retrouver un jour au
pays. Quel bonheur ce jour là, mais ce n'est encore qu'un rêve, et
se réalisera-t-il ?
Je reçois les souhaits
tous les jours de tous, et c'est réconfortant de sentir toutes ces
affections autour de soi.
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