vendredi 31 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 31 octobre 1914

Même cantonnement. Même travail.
La Cie reçoit l'ordre, à 18h, de se mettre à la disposition de la 70e division (Q.G. à Camblain l'abbé).

Samedi 31 octobre 1914

Toujours même travail, tranchées avec abris. On devient à la coule pour les dissimuler.
À onze heures, comme la section quitte le travail, nous avons un moment d'émotion : quelques obus viennent tomber près de nous. Heureusement que ce sont des petits. On se défile dans les tranchées. Ce doit être le ballon captif allemand qui nous signale à une batterie, car nous l'avons vu toute la journée.

Vers 3 heures du soir, comme nous [nous] rassemblons pour nous préparer à changer de cantonnement, trois obus nous arrivent à quelques mètres. Inutile de dire de se cacher. Tout le monde est aplati contre le talus. Cette fois, ils ont frappé plus près que le matin. On s'en tire pour la peur mais il était temps. Heureusement que le sifflement avertit du danger. Nous devions quitter Saint-Aubin dans la soirée aussi se dépêche-t-on à manger la soupe et monter le sac.
Vers 7 heures arrive l'ordre de coucher où nous étions, et départ pour l'autre destination (que l'on ne sait pas encore) à 5 heures du matin. Je m'endors pendant que le canon gronde, et que les marmites tombent à droite et à gauche de l'usine. On dit qu'un monoplan français aurait descendu un Taube dans la soirée. Je voudrais bien que cela soit vrai.

jeudi 30 octobre 2014

Vendredi 30 octobre 1914

La journée s'est déroulée calme ce matin. Vers deux heures de l'après-midi commence une violente fusillade du côté de Roclincourt, au nord d'Arras, ce doit être une attaque ennemie. Peu de temps après, la canonnade commence et devient ininterrompue. Il est 8 heures du soir, et le tonnerre continue. Je suis anxieux d'en savoir le résultat. Nous fortifions les environs de Saint-Aubin. Veut-on reculer ? Je ne pense pas, mais il est bon de prendre des précautions. Il a plu presque toute la journée. Que de fatigues physiques et morales doivent supporter les lignes de combat, obligées de coucher dans les tranchées, et je considère que nous sommes encore les moins à plaindre.

mercredi 29 octobre 2014

Jeudi 29 octobre 1914

Cette journée se passe, comme la précédente, sans incidents notables. Le canon est toujours de saison, et les marmites explosent dans nos parages, mais assez loin de nous. Je reçois ce jour la première lettre du pays, elle vient de mon frère Joseph. Avec quelle joie je dévore les nouvelles qu'elle contient car elle apporte un peu de réconfort et d'affection qu'on a laissés au départ. J'ai espoir que dorénavant j'aurai des nouvelles plus souvent. De ma femme, encore rien et pourtant il y en a au moins une dizaine en route. Elles me parviendront plus tard.

À midi, nous rejoint à Saint-Aubin l'homme qui était disparu dimanche soir. Il a resté dans les tranchées. Il passait trop de balles et il était dangereux pour lui de se sauver.

mardi 28 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 28 octobre 1914

La Cie cantonne à Louz-les-Duisans. Elle travaille en 2ème ligne à l'organisation d'une position défensive comprise entre la cote 92 (route de Saint-Pol à Arras de Louez) et l'S de scarpe (entre Saint-Aubin et Anzin-Saint-Aubin).

Mercredi 28 octobre 1914

La nuit s'est passée sans incident, mais il fait froid. Notre campement est une usine, mais tout y a été démonté. Cela devait appartenir à quelque Allemand qui a dû prendre la fuite en emportant le plus précieux.

Nous faisons de nouveau des travaux de défense avec abris. À proximité sont installés des obusiers de 220, et les obus qu'ils envoient doivent faire serrer les fesses aux boches. Chacun son tour. Le poids en est respectable 103 kg chargés à mélinite.

L'après-midi un lièvre vient se faire assommer à coup de pelle dans nos chantiers.

lundi 27 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 27 octobre 1914

La Cie continue le travail de la veille. A 16h elle reçoit l'ordre de se rendre à Anzin-Saint-Aubin, pour être mise à la disposition du Général Cdt la 45e division. A son arrivée au cantonnement à Sainte-Catherine, un obus allemand explosait auprès d'un groupe de sapeurs xxxx faisant 1 mort et 7 blessés.

Mort : Moullet Ludovic 2e classe Mort pour la France
Blessés : Peyre Jean, Roussel Aimé (2e c), Chion Léon, Vicat Augustin, Mathieu Pocas, Manuel Antoine, Benoist Ernest

Mardi 27 octobre 1914

Nous avons passé encore la nuit de lundi à mardi dans le cantonnement. Vers midi, nous repartons vers la fabrique qui a brûlé et faisons un boyau de communication sur le revers de la route. Sur notre passage détourné, nous voyons les maisons écroulées de fond en comble, chevaux crevés, éventrés, ce ne sont que des ruines. Les marmites ont éclaté par là, et dans les champs il y a de grands entonnoirs produits par les éclatements.

Vers cinq heures nous rentrons, mais sommes arrêtés par les batteries de 75 qui font un feu d'enfer. De même nos propres pièces tirent, et nous ne pouvons pas avancer. Situation critique et s'il arrive un obus à ce moment, il y reste une tapée d'hommes. Je vois des obus qui éclatent vers notre cantonnement et je perçois un cri mais n'y prête pas attention. Une demi-heure après, ayant réussi à passer, nous voyons passer dans la rue des blessés portés sur des brancards.

Ils sont de la compagnie, c'est un obus de ceux que j'ai vu tomber, et le cri était poussé par un de ces hommes. Un homme est mort et sept blessés. Ce qui porte à douze le nombre de manquants, si cela continue cela ira mal. De ce fait, nous lâchons Sainte-Catherine et nous nous dirigeons dans la nuit vers Saint-Aubin où nous couchons.

dimanche 26 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 26 octobre 1914

Repos dans la matinée. L'après-midi, travail à la construction d'un boyau de communication, sur la route à la sortie nord-est de Saint-Nicolas, se dirigeant vers la Maison-Blanche. Rentre à 18h à son cantonnement (Sainte-Catherine).

Lundi 26 octobre 1914

Nous avons pu retrouver notre cantonnement et y sommes arrivés par détachements et dans la nuit ; aujourd'hui nous avons eu repos. J'en profite pour me remettre de la fatigue de ces temps derniers.

samedi 25 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 25 octobre 1914

Elle part à 4 heures, arrive à Saint-Nicolas. Un peloton est envoyé sur les lignes de feu à Saint-Laurent. Le 2e également aux première, aux Maisons-Blanches. Elle travaille à l'organisation des positions. Quitte le travail à 18 heures. Cantonne la nuit à Sainte-Catherine-lèz-Arras.

Pertes de la journée du 25 :
  • Blessés :
    • Marcelin Cornand, sergent
    • Achille Parndier, caportal
  • Disparus :
    • Basset Emile, sergent(1)
    • Girodon, sapeur mineur
(1) Non décédé d'après sa fiche matricule.

Dimanche 25 octobre 1914

On nous réveille à 2 heures du matin, et partons presque aussitôt pour le quart à Saint-Laurent(1) où il y a eu aussi une attaque. Nous faisons des créneaux dans les maisons afin de pouvoir tirer sur un clocher où les Allemands ont installé une mitrailleuse. C'est dans ce village, dans une cour, que j'ai vu le premier mort, un chasseur. Il était recouvert de son manteau. Héros obscur tombé pour la défense de la patrie. Des blessés passent aussi, un chasseur qui revenait de porter la soupe, vient d'être blessé, et une balle lui a traversé le bras. Nous le pansons, et je lui donne à boire du rhum. Quelle désolation dans le pays : les toits crevés, maisons abandonnées par leur propriétaires ; et tout est en l'air, meubles épars, façades trouées. Dans les rues traînent épars des fusils cassés, baïonnettes tordues, cartouchières, effets. C'est navrant et bien fait pour attaquer le moral.

Dans la ferme que je suis abrité, et pas abandonnée, je trouve du lait et du beurre ce qui nous fait plaisir. Les balles sifflent à nos oreilles et s'aplatissent avec un claquement de foret. On fait des ouvertures de maison en maison et passons en terrain découvert par une sape afin de dégager deux sections de chasseurs à pieds, mais ne pouvons finir notre travail car les obus percutants et fusants pleuvent de tous côtés, les tuiles tombent, et obligé de se terrer, un chasseur à été tué, un autre blessé, mais dans notre section aucun blessé. On se défile à l'entrée de la nuit mais à ce moment se produit l'attaque allemande. Les balles pleuvent, il y a un moment de confusion et ensuite l'ordre renaît. Les Allemands sont maintenus, il y a eu des pertes sérieuses de part et d'autre. Nous avons en cette soirée deux sergents et un caporal blessés, 1 disparu.

(1) Saint-Laurent-Blangy au nord d'Arras

vendredi 24 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 24 octobre 1914

La Cie travaille à l'organisation de la position au nord de Sainte-Catherine, entre les routes de Lens et de Béthune. Elle bivouaque sur les chantiers. Reçoit l'ordre de se rendre à Saint-Nicolas.

Samedi 24 octobre 1914

Je n'ai guère pu dormir, réveillé en sursaut par nos batteries de 75 qui ont du couvrir les bases qu'on a fait en arrière. À l'aube, nous faisons une tranchée, et la tâche est vite bouclée. Ce n'est plus le moment d'aller à la force, aussi cela marche. Dans cette journée, vers 4 heures du soir, il y a eu une canonnade terrible de notre part. C'était un grondement continuel de tonnerre. Il y avait l'offensive sur toute la ligne, et cela a continué ainsi pendant une heure et demie. Il a du pleuvoir des milliers d'obus sur les tranchées. C'est une vision d'enfer. Vers dix heures du soir, comme on essayait de dormir auprès d'un talus, nous sommes réveillés par les clairons, c'est la charge que l'on sonne, et de ce côté au nord d'Arras ce sont les zouaves et tirailleurs qui font l'assaut. Combien qui doivent tomber, il vaut mieux ne pas réfléchir. Je m'endors, assommé par la fatigue.

jeudi 23 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 23 octobre 1914

La Cie travaille à la construction de tranchées en avant et à l'ouest de Saint-Nicolas près Arras. Repos l'après-midi. Elle retourne au travail à 18 heures. Puis reçoit l'ordre de se replier en arrière de la ville sur la route de Lens. Départ à 22 heures. Elle bivouaque sur la route.

Vendredi 23 octobre 1914

Je croyais me coucher hier soir mais départ à 9 heures. Il fallut boucler son sac et on part pour Arras. Marche jusqu'à minuit. Nous couchons dans les caves d'une malterie. Les obus éclatent dans la ville. On peut à peine dormir deux heures et on part le matin dans la nuit faire des défenses accessoires sur les lignes de feu.

Pour une entrée en danse nous avons été servi. De 7 heures à 11 heures, nous avons été sous une rafale d'obus. Les grosses marmites qu'on les appelle. Cela fait un bruit de tonnerre et des trous, c'est quelque chose. Ils éclatent en avant, arrière. Aussi inutile de dire de se défiler et de mettre le sac sur la tête. On prend un baptême du feu cogne, dont je me rappellerai longtemps si j'ai le bonheur d'en réchapper. À un certain moment une marmite tombe sur un point du talus qu'on venait de quitter. Il était temps, car une dizaine d'entre nous y seraient restés. À toutes les secondes, il passe des messagers de mort dans toutes les directions avec un sifflement effrayant.

Ce jour j'ai eu une joie et une grande peine. La première, de voir Baptiste mon ancien garçon, et qui se fait dans son nouveau métier et a l'air d'un vieux grognard. La seconde, c'est d'apprendre la mort de Colin(1), frappé par plusieurs balles, la nuit que je suis arrivé à Arras, au moment où il quittait la tranchée pour rejoindre les lignes arrières, ne voulant pas être prisonnier comme le fut sa section. Le fait m'a été raconté par un de ses hommes et que j'ai connu comme gérant de la coopérative de la 15ème. Pauvre femme, pauvres enfants, mais on est tous logés à la même enseigne et mon impression de cette première journée a été de maudire ceux qui ont déchaîné tant de larmes et de misères.

Évacuons le soir Arras pour aller au nord de cette ville. L'ordre nous est parvenu sur le travail, à onze heures, cela fait que nous avons passé la nuit dehors et dormi à la belle étoile. Nous avons je crois un peu reculé du côté d'Arras de peur d'être coupés.

(1) Porté disparu le 22 octobre à Saint-Laurent-Blangy.
Aimé André COLIN Mort pour la France

mercredi 22 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 22 octobre 1914

Même cantonnement. Même travail.
La Cie reçoit l'ordre de se transporter à Sainte-Catherine près d'Arras, à la disposition du Général Barbot , Cd la 77e division. Elle s'y rend dans la nuit.

Le Générat Ernest Bardot sera tué le 10 mai 1915 (Mort pour la France).

Jeudi 22 octobre 1914

Toute la journée passent des milliers de gens, c'est la population d'Arras qu'on fait évacuer à cause du bombardement. L'incendie, que nous apercevions hier, c'est un faubourg, Saint Nicolas, et une fabrique de bougies qui brûlent. Quelle tristesse dans ce long défilé d'émigrés, la plus grosse partie se compose de femmes, des enfants et tous emportant un baluchon, toute leur fortune. Ils s'en vont vers Saint-Pol, et de là, seront dirigés sur un point inconnu de la France. Pauvres gens, ils ont quitté leur pays en flammes et beaucoup ne retrouveront que des ruines au retour.

Un incident de ces instants tragiques s'est produit à 10 heures du matin sur la route à 10 mètres de moi. Une femme portant un nouveau né le fait baptiser par un jeune prêtre qui la dépassait. C'est le quart de notre cuisinier qui servit de bénitier. Voilà bien la guerre ! Et chacun continue sa route. Je me rappellerai longtemps cette journée.

Un Taube(1) est passé près de notre chantier, mais il était trop haut pour pouvoir l'atteindre au fusil. Mais nos canons lui ont envoyé quelques obus. Tout le jour on a transporté des blessés, car on a fait évacuer les hôpitaux d'Arras, Marceuil, Etrain(2). Les Allemands ont eu cette nuit un mouvement offensif, mais ont été repoussés avec de fortes pertes.

Ce soir, on nous a distribué des chemises, caleçons, cache-nez et dons des femmes de France ; sur une étiquette je trouve le nom d'[Illisible]. Demain nous quittons Duisans à 6 heures 45 du matin. Bonsoir.

(1) Etrich-Rumpler Taube, monoplan Allemand
(2) Étrun


Bundesarchiv Bild 146-1972-003-64, Flugzeug Rumpler-Taube nach dem Start
Bundesarchiv, Bild 146-1972-003-64 / CC-BY-SA [CC-BY-SA-3.0-de], via Wikimedia Commons

mardi 21 octobre 2014

Mardi 20 et mercredi 21 octobre

Rien de nouveau dans la situation, les tours n'ont reçu que 5 obus mardi soir, et aujourd'hui tout est calme. Mais il paraît que les Allemands bombardent un village qui est 6 km plus à l'est de Saint-Éloi. Beaucoup de gens passent venant d'Arras et disent que le bombardement de la ville a recommencé. La canonnade se fait entendre vers le nord mais assez éloignée. De notre côté on se regarde.

J'apprends la mort du Roi Carol(1), cela permettra peut-être à la Roumanie de tomber sur l'Autriche. De même l'arrivée du gouvernement Belge au Havre, la mort du Marquis di San Giuliano(2), tout cela fait accélérer la marche de la guerre. Mais si cela n'avance pas plus on n'est pas de retour à la maison avant Pâques.

À la nuit une grande lueur, Arras brûle.

(1) Carol 1er de Roumanie, décédé le 10 octobre 1914.
(2) Ministre des affaires étrangères Italien, décédé le 16 octobre 1914.

dimanche 19 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 19 octobre 1914

La compagnie reçoit l'ordre de cantonner dans les maisons d'Etrun, en bordure de la route d'Arras. Faute de place, et sur nouvel ordre, elle cantonne à nouveau à Duisans, au nord ouest du village. Même travail.

Lundi 19 octobre 1914

Au moment de partir pour le travail, on nous donne l'ordre de prendre nos sacs, nous abandonnons Haute-Avesnes pour nous porter plus près d'Arras. C'est malheureux de changer si souvent, car la première nuit dans un nouveau local, comme on y arrive toujours de nuit, on est généralement mal couché. Puis lorsqu'on s'est fait un bon coin, il faut partir.

Je vois de nombreux vols d'étourneaux, il vient de passer un vol de perdrix à côté de notre chantier. À quatre heures du soir nous savons où nous allons. On retourne à Duisans où nous passons trois quarts d'heure à attendre qu'on veuille bien nous cantonner. Cause, manque d'organisation. De ce fait, pas moyen de faire cuire la soupe. Je vais commander la soupe à l'estaminet, où nous avons la chance d'apaiser la faim.

samedi 18 octobre 2014

Dimanche 18 octobre 1914

Aujourd’hui dimanche, travail comme d'habitude. Il ne faut plus compter avoir des permissions. Si au moins on avait quelques heures pour se laver. Mais dans les villages pas de fontaines, rien que des puits, et qui souvent n'ont pas d'eau. Encore pas de soleil mais le brouillard s'est éloigné. Une compagnie de zouaves vient nous aider de 3 heures et demi à 4 heures. Les Allemands bombardent Saint-Éloy avec leurs grosses pièces. Ils en veulent à la tour, monument carré qui a 68 mètres de hauteur. Avec les jumelles, je vois qu'elle a été touchée à la base et au sommet, mais elle est solide et ne tombe pas. Le village, à l'heure actuelle, doit être couvert de ferraille. Nos pièces répondent, car il y a près de là de l'artillerie lourde, et on perçoit très bien le sifflement des obus,

À 8 heures du soir nouveau combat, mais cette fois les fusils partent de tous les côtés et cela dure longtemps. Mais malgré cela je m'endors facilement. Les rats de la grange nous ennuient plus que la pétarade.

vendredi 17 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 17 octobre 1914

La compagnie change de cantonnement. Elle se transporte à Hautes-Avesnes, à 3 km à l'ouest de Duisans. En 2e ligne.
Elle continue le même travail.

Samedi 17 octobre 1914

Nous partons de Duisans et n'y cantonnerons plus. Nous portons nos pénates à Haute-Avesnes sur la route de Saint-Pol à 4 km de Duisans. Nous sommes mal couchés dans le foin humide et regrettons notre ancien cantonnement, où la propriétaire nous avait offert une chambre, où nous avions mis de la paille. Au moins nos affaires ne s'égaraient pas. Cet après-midi, le Mont-Saint-Éloy a été bombardé de nouveau par de fortes pièces, et elles font un pétard abominable. Des zouaves, venant du front, viennent nous aider à creuser des tranchées ; c'est leur repos quand ils ne combattent pas, ils travaillent aux tranchées.

Nous n'avons pas encore vu un Boche ni vivant ni mort. À ce jour on nous dit que les Français bombardent Metz.

jeudi 16 octobre 2014

Vendredi 16 octobre 1914

Départ à 6 heures pour notre travail habituel ; un zouave, venant rendre visite aux patates qui restent dans un champ, vient me raconter que les Allemands auraient fusillé 600 tirailleurs qu'ils avaient pris. Ce serait pour se venger du fils du prince de Bülow que les tirailleurs auraient fusillé (j'attends confirmation).

Il y a un ballon captif sur notre droite à 500 mètres. Il fait souvent des ascensions afin de reconnaître les positions ennemies, mais il est hors de la portée des canons. Aujourd'hui nous n'avons pas vu d'aéroplane car le brouillard est intense.

mercredi 15 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 15 octobre 1914

1 section organise défensivement le village de Agnez-les-Duisans. Les 3 autres continuent l'organisation de la cote 105.

Jeudi 15 octobre 1914

Même travail qu’hier, continuation des tranchées. Vers huit du matin une troupe fait halte en face nos tranchées, nous voyons la terre alpine, pas d’erreur c’est le 159ème(1). En effet, ce sont les hommes du dépôt qui sont partis un jour ou deux après nous.

Je retrouve là, Bermont, [Illisible], Raymond de Bouchier et Gauthier de l’Argent[ière]. Tout ce monde, environ 600, va rejoindre le régiment qui est au-dessus d’Arras. On se dit au revoir et à bientôt. Je les charge de donner le bonjour à mon garçon Baptiste qui est toujours sur le front. Toujours le canon, mais on s’habitue.

Vers les 3 heures de l’après-midi, un duel violent d’artillerie s’engage sur notre gauche au Mont-Saint-Éloy, distant de notre travail de 4 km. De gros obus tombent sur le village et mettent le feu à une ferme, et l’on aperçoit les tourbillons de fumée. Les propriétaires sont les parents du cultivateur où nous sommes cantonnés, et ils nous racontent leurs angoisses de ces moments.

Nouvelle canonnade, sur les avions cette fois, 20 obus éclatent.

8 heures du soir, l’on entend une violente fusillade du côté de Saint-Éloy, ce doit être une contre-attaque et il n’est rien de plus sinistre dans la nuit. Le temps est sombre comme un four, et le brouillard empêche de voir à plus de 20 mètres.

(1) Régiment de chasseurs alpins

mardi 14 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 14 octobre 1914

La Cie 14/5 est affectée comme 1ère Compagnie de Corps au Corps provisoire, qui devient le 33e Corps. Elle continue les travaux commencés.

Mercredi 14 octobre 1914

Aujourd’hui nous commençons à faire du travail, ce sont des tranchées et des abris. Mais plus du tout même genre que celles apprises, tranchées profondes et étroites, et aussi bien dissimulées que possible avec abris de chaque côté. Le travail est facile car à deux mètres de profondeur nous ne trouvons pas une pierre. Terrain argileux et on taille là-dedans comme dans du gruyère. Aussi avance-t-on à creuser, et avec cela le terrain ne s’éboule pas. Aussi c’est pain béni pour nous qui avons d'habitude des cailloux. Les tranchées que nous exécutons sont à 3 km en arrière de notre cantonnement et on mange sur le terrain, parfois on se met la [Illisible] pendant ces moments nous tapons dans la réserve particulière.

Aujourd’hui nous avons assisté à un spectacle intéressant. Plusieurs avions volaient au-dessus de nos têtes et filèrent vers la bataille pour des reconnaissances.

Un de ceux-ci s’étant plus approché, les batteries allemandes ont dû l’apercevoir, et presque aussitôt un obus éclate dans la direction de l’avion, suivi d’un autre, et 18 ont éclaté ainsi dans l’espace d’une minute. Mais sans l’attendre, le pilote a continué son vol tranquillement, semblant ainsi narguer les canonniers ennemis. Nous avions déjà assisté à pareil spectacle deux jours avant, mais comme c’était très loin on ne voyait que les nuages de fumée produits par l’éclatement mais sans voir l’aéroplane.
On entend de grosses pièces, ce sont probablement des 120 ou 155. De la grosse artillerie anglaise est arrivée il y a deux jours et a remplacé un régiment de 75 français qui est passé près de nous et est allé prendre un autre poste de combat dans une direction inconnue, vers le nord probablement.

Je reçois vers le soir le bonjour de Colin(1) qui a su qu’on était là par Chellier du Cours que nous avions rencontré le mardi en allant vers Buisan ; cela fait plaisir de sentir des pays tout près et je pense que bientôt on aura le plaisir de se serrer la main. Nous ne lisons aucun journal, par conséquent plus de nouvelles. Nous avons cela en moins, quoique plus près. On nous a dit que, dans la nuit d’avant, un convoi allemand avait été détruit par l’artillerie.

(1) André Colin, de l'Argentière, sergent au 159e régiment d'infanterie.

lundi 13 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 13 octobre 1914

Ordre de cantonner à Duisans ; la Cie s'y rend dans la matinée. L'après-midi elle travaille à l'organisation défensive de la cote 105, en arrière de Duisans. En deuxième ligne.

Mardi 13 octobre 1914

Départ de Savy vers 7 heures matin et prenons direction Arras, mais nous nous arrêtons à Buisan(1) qui sera jusqu’à nouvel ordre notre cantonnement. Les routes, qui sont toujours droites, nous font souffrir les pieds car elles sont pavées la plupart du temps.

Buisan est un assez joli village, les maisons forment toutes fermes et sont basses, rez-de-chaussée seulement, rares sont celles qui ont étages. Ici plus de vin, même à n’importe quel prix, en revanche la bière à grand le bidon c’est pour rien, aussi nous n’en faisons pas faute. Mais il arrive souvent que l’estaminet n’en a plus. Café avec eau-de-vie dedans, mais c’est à-peu-près comme celui du régiment, mais avec moins de nerf encore.

Toujours l’exode, des habitants des régions bombardées qui passent, et il y a des groupes qui font peine à voir. Toujours le canon qui tonne dans tous les coins. Tantôt le bruit sec du 75, d'autres fois les coups sourds des grosses pièces. Il passe des moments où cela fait rage. Le temps est toujours brumeux, et l’humidité nous pénètre fort, car nos capots sont mouillés.

(1) Duisans, d'après le [JMO].

dimanche 12 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 12 octobre 1914

Arrivé à Ligny, à 15h, après passage à Amiens et Etaples. La Cie cantonne le soir à Savy.

Lundi 12 octobre 1914

Le jour apparaît un peu avant d’arriver à Amiens, mais un brouillard intense nous empêche de voir à plus de 50 mètres, et ce n’est pas intéressant pour voir le paysage. 15 minutes d’arrêt à Amiens dont nous ne voyons que la gare. Enfin sur les dix heures, la brume se dissipe, et nous voyons alors se dérouler les plaines à l’infini ; culture principale la betterave, blé et l’élevage des bœufs qui sont dans d’immenses parcelles. Adieu les montagnes des Alpes. Et les Allemands ont jeté des bombes ce jour-là sur Arras.

Abbeville, sous-préfecture, c’est entre cette ville et Amiens que nous avons vu les premiers ponts qu’on a fait sauter. Le génie français était en train de réparer.

Etaples, nous apercevons les falaises et au loin la mer. Nous changeons de train pour la direction d’Arras. Un thé chaud nous est servi à cette gare.

Saint-Pol, dix minutes avant que nous passions, vers 2 heures de l’après-midi, une bombe a éclaté près d’une maison, deux à trois personnes de blessées.

Nous débarquons enfin à 3 heures du soir à la gare de Ligny-Saint-Flochet. Départ à 4 heures pour Savy[-Berlette] distante de 2 km ; nous apercevons maintenant beaucoup d’aéroplanes, et quelques-uns sont seulement à 200 m environ sur nos têtes. Avant la tombée de la nuit, nous apercevons sur notre gauche des points blancs. Ce sont des obus allemands éclatant en l’air. Dans un tout petit rayon et dans l’espace d’un quart d’heure, cent obus au moins ont été tirés.

La route, droite comme « i », est sillonnée par les voitures de ravitaillement, voitures d’ambulance, autos, cyclistes, cavaliers, et cela sans discontinuer.

Savy, arrivée 7 heures, nous nous couchons dans une sucrerie parmi les émigrés flamands belges, à qui on donne quelques vivres. On est fatigué et on se couche sur un peu de paille, le sac servant de traversin.

Carte du voyage depuis Briançon

samedi 11 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 11 octobre 1914

La Cie arrive au Bourget, à 20h. De là, elle est dirigée sur la gare de Ligny St Flochel (Pas de Calais) à destination d'un Corps provisoire.

Dimanche 11 octobre 1914

Le froid me réveille à Dijon, 5 heures du matin. Quelques minutes d’arrêt et le train part. La campagne se déroule devant nous à l’infini. Des sites merveilleux se renouvellent constamment.
Tonnerre, 9 heures 30, des dames charitables nous offrent gracieusement du pain, du fromage et du café que l’on s’empresse d’accepter. Ma foi, leur café vaut mieux que notre jus légendaire.

Montereau, 2 heures de l’après midi, redistribution de thé, je ne sais si c’est celui que les Japonais ont fait cadeau, mais il a un parfum d’orient. Les Allemands sont arrivés à 10 km de cette ville vers le 6 septembre à ce que nous disent les employés PLM(1).

Fontainebleau, ville charmante, avons eu un aperçu sur la beauté merveilleuse de sa forêt.
Melun, un avion est signalé tout le monde lève le nez en l’air et suivons des yeux les évolutions du monoplan. Surtout, pour la plupart d’entre nous, le fait est très intéressant car on en avait pas vu voler.

Villeneuve, nous arrivons dans la nuit et ne pouvons apercevoir Paris, mais j’aperçois de nombreux projecteurs qui balayent le ciel de leurs lumières puissantes, car dans la journée les avions allemands ont jeté vingt bombes dit-on.

[Le] Bourget, où nous restons environ 2 heures, et où l'on nous y fait descendre ; l’on nous dit que l’on continue sur le Nord. Nous soupons et au départ du train, nous nous endormons dans notre wagon de seconde classe, chacun sur un côté. Car depuis Valence, je fais le trajet avec un camarade, Cornand, tout seuls dans le même compartiment.

vendredi 10 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 10 octobre 1914

La Cie reçoit à son passage à Lyon, 4 chevaux (3 de selle, 1 de trait) venant du dépôt du 4e Génie à Grenoble.

Samedi 10 octobre 1914

Les premières lueurs du jour nous trouvent au delà de Baurière. Je suis tout engourdi car je n’ai guère fermé l’œil de la nuit.

Près de Die, de bonnes dames nous ont offert un café bien chaud qui nous a un peu réveillés. Valence, une heure d’arrêt, j’en profite pour expédier quelques cartes qui vont porter un peu de moi-même à mes chers restés au pays.

Nous brûlons les gares à partir de Valence, et recevons sur tout le parcours les clameurs sympathiques de la population accourue au passage du train. Braves gens qui tous ont quelqu’un des leurs à la frontière ; l’on sent vraiment un souffle patriotique fervent sur toutes les âmes françaises, et c’est un stimulant pour ceux qui passent.

Lyon, 3 heures 30, nous voyons ici seulement les premiers effets de la guerre. Des wagons entiers de douilles de 75, que l’on décharge continuellement, prouvent que l’écoulement est considérable. Il se forme aussi des trains de chevaux et d’artillerie qui vont au même rendez-vous que nous.
8 heures soir, nous partons pour Paris.

jeudi 9 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 9 octobre 1914

La compagnie 14/5 du 4e Génie cesse d'être Cie de place, passe Cie divisionnaire, est mise en route, par le train de 18h34 pour le Bourget, à destination d'un Corps provisoire.

Effectif :
  • M.M. Taupin, Capitaine Commandant
  • Pomeau Lieutenant en 2nd
  • Pujol Lieutenant de réserve
  • Schultz sous-Lieutenant de réserve
  • 17 sous-officiers
  • 17 Caporaux dont 1 Caporal fourrier
  • 16 maître-ouvriers
  • 207 sapeurs
  • 23 chevaux

Vendredi 9 octobre 1914

Départ à 6 heures 45(1) de Briançon pour Le Bourget. La route s'effectue normalement, sans incident. Beaucoup sont montés dans les principales gares où se trouvent de nombreux parents et amis qui viennent nous apporter leur réconfort et leur souhait de bon retour. Moment pénible que celui où l’on se sépare des siens. Et dans un dernier baiser, on se demande si ce sera le dernier.

C’est le secret de demain.


(1) Du soir d'après le JMO.

mercredi 8 octobre 2014

Première page

La publication commence demain, voici la première page du carnet.



Adresse
à envoyer en cas de mort
à Madame Émile Pons
chez M. Meffre Nouveautés
à Aiguilles
(Hautes-Alpes) par Mt Dauphin

Il ne faut pas s’effrayer de cette adresse, mise au début de ce carnet, mais elle était nécessaire.
J’ai bien espoir que la chance et ma bonne étoile me ramèneront au pays malgré tous les dangers qu’on aura à traverser. Mais l’horizon n’est pas encore assez clair pour voir l’heure libératrice.