J'ai le bonheur d'avoir
cette journée de dimanche presque entière, car je ne repars aux
tranchées qu'à 8 heures du soir. J'assiste à un spectacle comme de
ma vie, je n'ai vu le pareil. J'ai déjà eu l'occasion de dire dans
ce journal, que nous étions logés dans l'église. Donc pour
l'office, on avait redressé un peu la paille, de manière à avoir
un couloir sur le milieu. Le chœur est débarrassé des bancs qu'on
y avait déposés, et un prêtre soldat fait le service divin avec
deux zouaves comme enfants de chœur. L'assemblée est composée de
quelques femmes, deux religieuses et le restant de soldats de toutes
armes et dans tous les accoutrements. Tous les visages sont graves et
recueillis, et l'on sent le besoin qu'ont tous ces hommes, les jeunes
de 20 ans et ceux à longue barbe, à élever leur âme, afin
d'implorer Dieu pour qu'il accorde la confiance et l'énergie
nécessaire afin de soutenir les fatigues et la lutte jusqu'au bout.
C'est surtout le réconfort moral qu'on demande, car la plupart ont 3
mois et plus de campagne sans aucun repos, et les forces commencent à
diminuer.
La messe est chantée
par les soldats, et de la tribune où je suis, j'embrasse l'ensemble
éclairé par un pâle rayon de soleil filtrant à travers les
vitraux, et c'est quelque chose d'émouvant de voir tous ces hommes
courbés avec à côté les sacs posés par terre et les fusils
adossés au mur, équipements de-ci de-là, et au-dehors le canon qui
tonne non loin de nous semblant nous dire de ne pas trop oublier les
choses d'ici-bas.
Nous ne les oublions
pas assez malheureusement, et le temps ne s'écoule pas à notre gré.
Cette cérémonie me restera gravée dans la mémoire aussi longtemps
que je vivrais, c'est une des principales émotions que j'ai
ressenties à ce jour, et les larmes me montaient aux yeux. Que
n'ai-je la plume d'un écrivain, je ferais un joli récit. Ce
dimanche a été aussi nuageux que les jours précédents, mais c'est
de coutume, et nous n'y ferions plus attention si cela ne nous
portait pas préjudice pour les chemins.
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