mardi 30 décembre 2014

Mercredi 30 et jeudi 31 décembre 1914

Nous arrivons à fin 1914 sans modification aucune. Je vois partir sans regret l'année qui s'en va, car si elle a été joie jusqu'à sa moitié, depuis l'ouverture des hostilités, cela n'a été qu'une continuation de luttes et de souffrances. Et que de larmes et de deuils elle aura semé, et ce n'est pas fini. Tous mes vœux pour 1915 à nous soldats, et je crois que ce sont aussi ceux de la France entière, c'est que tout cela se termine au plus vite. Avec quelques camarades j'ai fêté par un bon repas l'année qui s'en va. Ce sont les colis que nous avons reçus qui en ont fait les frais. Il vaut autant profiter des bons moments qui se présentent. La vie qu'on mène n'est pas si agréable et le fil de nos jours peut-être compté d'un moment à l'autre. Que nous réserve l'année qui va commencer ? La guerre se terminera-t-elle dans les premiers mois, ou bien de longs jours passeront-ils avant de voir poindre la victoire finale.

Qui vivra verra !

lundi 29 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 29 décembre 1914 au 1er janvier 1915

Continuation des travaux.

Mardi 29 décembre 1914

Le temps est toujours maussade, variant d'un rayon de soleil à une averse. Il est vrai qu'il faut tenir compte de l'ébranlement de l'atmosphère par les coups de canon. Vers midi, les marmites rappliquent sur nos batteries situées à 500 mètres de nous, et nous suivons d'un air curieux les explosions et les gerbes de terre qui montent en l'air. C'est assez intéressant à contempler de loin, mais pas du tout à s'y trouver dans les parages. Je pars à 8 heures ce soir pour les tranchées. C'est la plus mauvaise relève, mais il fait lune et le temps a de nouveau l'air de se remettre au froid.

dimanche 28 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 28 décembre 1914

Continuation des même travaux. Les sapes sont poussées activement. En outre on commence une tranchée en sape vers l'est, partant du chemin creux, pour défendre le terrain à l'est de ce chemin.

Lundi 28 décembre 1914

Le résultat de l'attaque d'hier, c'est que bien préparée par l'artillerie, qui en effet a donné son maximum, trois tranchées ont été prises. On disait aussi le village de Carency, mais il n'y aurait rien de sûr. Pour nous, en se rendant aux tranchées et en passant dans Sainte-Catherine, avons essuyé quelques obus qui faisaient voler les tuiles. On en a été quitte pour se mettre une demi-heure à l'abri.

Le temps s'est de nouveau radouci, et la pluie tombe, de ce fait les boyaux de communication et les tranchées sont pleins de boue, et en certains endroits on enfonce à nouveau jusqu'aux genoux. Le pire est que les talus s'éboulent, et il ne reste plus de forme aux parapets, et les créneaux en bois dégringolent. Nous faisons toujours des mines et tête de sape pour rapprocher notre première ligne des tranchées ennemies. Quelques postes d'écoute sont établis de loin en loin, de manière à s'assurer si les Allemands ne travaillent pas vers nous, et prévenir leurs attaques souterraines. Vers 11 heures du soir, un vent violent se lève, et en revenant sur la route de Lille, il était si fort qu'il nous empêchait d'avancer à certains moments, et il fallait se cramponner les uns les autres. On est arrivé tout trempé, et plein de boue. Je souffre toujours pour marcher. Auparavant j'avais des souliers trop petits, on m'en donne d'autres qui ressemblent à des bateaux. C'est sans doute pour compenser le retard qu'on a mis à m'en procurer et on me sert copieusement. De cette façon, mes pieds naviguent au dedans, augmentés par la boue qu'ils amassent. Il me semble traîner des boulets. C'est bien l'armée.

samedi 27 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 27 décembre 1914

Continuation du travail.

Une sape russe est menée vers les travaux allemands, entre les 2 entonnoirs nord. 2 postes d'écoute sont établis au nord des 2 entonnoirs. Les travaux sont poursuivis pour l'établissement d'une tranchée de 1ère ligne, en avant de C8 et pour faire sauter 1° un nœud de sapes importants, à l'O. de la route de Lille par notre sape russe partant du barrage ; 2° et 3° les travaux allemands en avant de leur ancienne 1ère ligne en XX par la sape russe entre les 2 entonnoirs et une sape russe à l'O. du chemin creux.

1 mort : s/m Blétry

Marius BLETRY Mort pour la France

vendredi 26 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 26 décembre 1914

Même travail. On commence 2 sapes portant à droite et à gauche du barrage, l'une vers le sud et l'autre vers le nord. Une sape, du nouvel entonnoir se dirigeant vers la route de Lille. Une autre de l'entonnoir du 1er décembre, vers le chemin creux. Une autre de la tranchée 8 vers le nord, et 2 de chaque coté du chemin creux.

1 mort : s/m Moullet Henri
1 blessé : s/m Giret

Henri Albin MOULLET Mort pour la France

Samedi 26 et dimanche 27 décembre 1914

La journée de samedi à été marquée par la mort d'un sapeur tué d'une balle à la tête. C'est toujours aux premières lignes que cela arrive. Une bombe, en éclatant, blesse aussi un sapeur et un territorial, mais ce n'est pas très grave car ils se ramènent tout seuls. Ce matin vers 8 heures, dans une sape de tête, j'entends appeler, je m'approche et vois encore un sapeur ensanglanté ; c'est une balle qui vient de le traverser, probablement au cœur, car il n'a pas poussé un soupir et est mort aussitôt après. Détail plus navrant et ce dont je me suis rendu compte une heure après, ce sont les français qui l'ont tué, croyant tirer sur les Allemands. D'ailleurs il n'aurait pu être touché du côté ennemi, un fort parapet étant de ce côté. C'est ce qui prouve que la moitié du temps, les veilleurs ne savent pas exactement où sont les tranchées ennemies et tirent sur les leurs. Et ce n'est pas la première fois que cela arrive et malheureusement pas la dernière.

Celui qui a été frappé de cette mort, c'est son camarade qui était à côté de lui et qui s'était engagé pour faire la guerre avec lui, et il a dû éprouver une forte secousse en voyant tomber son ami, aussi le pauvre garçon en pleurait.

À une heure, le, ou plutôt les canons, se sont mis à vomir du feu, et pendant une heure durant, on peut dire que cela a été un grondement de tonnerre ininterrompu. C'était sur notre gauche et probablement une attaque qu'elle préparait sur Saint-Éloi. Si les Allemands n'ont pas quitté leurs tranchées avec la ferraille qui a dû tomber, c'est qu'ils y sont vissés, car s'ils ne s'en vont ils doivent devenir fous. Tout calibre devait donner 75, 90, 105, 120, 155. On aurait cru la fin du monde. On a essuyé en première ligne quelques obus venant des Allemands, et ils ont fait aussi marcher les mitrailleuses. En croyant qu'on voulait les attaquer mais tout s'est borné à une fusillade. Ce soir on me dit que le village de Carency est à nous. C'est près de Saint-Éloi. Je saurai demain plus exactement ce qu'il en est.

jeudi 25 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 25 décembre 1914

La Cie établit 2 postes d'écoute, en avant des 2 entonnoirs n°1 et 2 : une sape russe partant de l'entonnoir n°1 est dirigée vers la route de Lille. Les sapes en cours, en particulier celle reliant la tranchée C8 au pont de pierre, sont poussées activement.

Vendredi 25 décembre 1914

Noël, malgré que je me sois couché tard, il faut que je me réveille matin, par le remue-ménage que l'on fait dans l'église, car on fait sortir toute la paille pour pouvoir dire la messe. Elle a lieu à 9 heures 30, ce n'est plus la messe solennelle à laquelle on était habitué ; ce jour-là pas de décoration, rien, mais le spectacle est émouvant de simplicité, avec ce décor d'armes et d'uniformes.

Il fut dit une messe basse, et quelques cantiques patriotiques furent chantés en chœur. Je pense à toute la famille qui au pays, ce jour et à-peu-près à la même heure, priera aussi les absents. C'est une réunion d'âme et de pensée qui nous amène en ces lieux. Peut-être que ce jour leur paraîtra triste autant qu'il l'est pour moi, de me sentir au loin pour ce jour où l'on est d'ordinaire tous réunis. Mais les terribles événements sont là, et on a qu'une consolation, c'est d'espérer d'être réunis pour la Noël suivant. Ce jour-là on nous a un peu changé le menu, surtout comme dessert, confiture, biscuit, cigares.

mercredi 24 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 24 décembre 1914

On continue l'aménagement de l'entonnoir. Travail à la tranchée reliant C8 au pont de pierre. Le rameau à l'est de la route de Lille est poussé pour être chargé. Il est terminé, avec sa chambre aux poudres dans la nuit. Longueur totale 21 m. La Cie 17/1 M est chargée de le bourrer et de le faire exploser.

Jeudi 24 décembre 1914

À la gauche de la route de Lens, notre galerie pour fourneau avance, l'équipe de zouaves et sapeurs que j'ai mis sont réellement bons. Les zouaves pionniers sont tous du Nord, et mineurs de profession, et arrivent à faire un mètre d'avancement à l'heure dans ce terrain. Mais à 20 mètres en avant, sous terre, c'est plutôt pénible. À un moment donné, la lumière s'éteint, c'est le manque d'air. Enfin, on a pu charger le fourneau dans la journée, et il faudra le faire sauter, car les Allemands doivent travailler à notre encontre, car on les entend travailler assez distinctement. Mais dorénavant nous ne viendrons plus dans ce secteur qui sera affecté au 2e génie. Nous, on occupera la droite de la route de Lille.
C'est la veille de Noël, j'ai fait un semblant de réveillon, un morceau de tarte et un quart de blanc [de] Bordeaux offert par un lieutenant de zouave. C'est maigre, mais à présent on n'est pas difficile et on se contente de peu.

Je reviens au cantonnement vers une heure du matin. Le ciel est pur et parsemé d'étoiles et d'un calme parfait. C'est une vraie nuit de Noël, mais on entend point de joyeux carillon durant le trajet. La raison en est simple, il n'y a plus de clochers, et les cloches sont enfouies dans les décombres. Quelle tristesse monte dans cette nuit avec les silhouettes des maisons démolies, que l'on aperçoit noyées dans les tranchées, et les coups de feu que l'on entend plus faibles à mesure que l'on s'éloigne des lignes de feu. Vers minuit, j'entends des feux de sapes sur Roclincourt, et le canon envoie plusieurs obus. C'est pour faire taire les Allemands qui chantent dans leurs tranchées, cela nous semble une profanation de leur part en cette heure solennelle, et qui ne s'accorde guère avec leur mentalité ni de leurs actes.

mardi 23 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 23 décembre 1914

L'explosion est donnée, et le résultat est obtenu. La sape allemande est bouleversée, l'entonnoir occupé et organisé en tranchée demi-circulaire et relié avec l'entonnoir 11.

A signaler la conduite du sergent Triollaire, des s/m Arnaud Gaston, Rosset Mazarin qui ont occupé l'entonnoir et lancé des bombes dans la sapes allemandes sans interruption.

Mercredi 23 décembre 1914

Nous partons aux tranchées, plus tôt que de coutume, car il faut être rendu à 5 heures du matin, on doit faire sauter un fourneau, et nous allons renforcer la section qui opère. À 5 heures, l'artillerie ouvre le feu, et à 5 heures 30, le fourneau explose, une masse de terre est projetée en l'air, et un énorme entonnoir se produit, immédiatement occupé par des hommes. Des sapeurs sont dans l'entonnoir et relient en vitesse par un boyau l'entonnoir avec notre première tranchée. L'opération s'effectue sans trop de pertes, deux tués et quelques blessés. Les Allemands ont dû fuir car on leur a lancé des bombes en masse et ils n'ont que peu répondu. C'est ce qui prouve qu'on les a maintenus à distance, et le travail s'est effectué ensuite bien à couvert. Deux sapeurs et un zouave ont été cités à l'ordre du jour de la division.

Les jours sont froids, il gèle un peu et cela durcit les sentiers.

lundi 22 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 22 décembre 1914

Même travail.
Le fourneau 13 est chargé : 150 kg de poudre.

Mardi 22 décembre 1914

J'ai essayé de dormir un peu jusqu'à midi, et malgré que j'étais fatigué, je n'ai guère pu y parvenir, car il y a toujours quelqu'un qui fait du bruit. Et dans l'église, la moindre parole résonne. De ce fait, j'avais un mal de tête à mon réveil. Je vais me débarbouiller, ce que je n'avais pas fait depuis 3 jours ayant donné ma serviette à laver, et il faut a peu près ce temps là pour que cela sèche. Je reprendrai mon sommeil ce soir car je ne repars que demain à 4 heures du matin.

Temps pluvieux aujourd'hui ; on a affiché une proclamation du général Joffre disant qu'on va reprendre l'offensive générale. Espérons et souhaitons de toute notre âme qu'elle réussisse, et qu'on rejette l'ennemi hors de France. Mais cela va coûter cher pour les sortir des retranchements. Ce sera une deuxième bataille de la Marne, et peut-être plus terrible.

dimanche 21 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 21 décembre 1914

Continuation des travaux. On pousse particulièrement la construction du rameau de la sape de l'entonnoir et du rameau à l'est de la route de Lille.
Continuation de l'aménagement de l'entonnoir 12 et de la construction de la sape allant de la tranchée 8 à la route de Lille (pont de pierre).

Lundi 21 décembre 1914

Nous avons reçu une vingtaine d'hommes du dépôt de Grenoble. Dans un, je reconnais le fils Barnéaud de Vallouise, le fils du facteur. Cela comblera un peu les vides produits ces temps-ci. Nous avons attaqué la galerie, et le quart est déjà fait, on continue activement, il faut que le fourneau soit chargé dans la nuit du 24 au 25. C'est à cette date là qu'on doit probablement le faire sauter. La nuit est très froide, et il faut battre la semelle, heureusement qu'il n'y a pas d'eau dans les tranchées. Dans la nuit, il est sorti une patrouille allemande, elle a été aperçue en plusieurs points, et on lui a tiré dessus, mais comme on peut pas voir, il y a des chances qu'on ne l'ai pas atteinte, mais elle a été forcée de se retirer au cas où elle serait venue pour jeter des bombes. Nous rentrons à Anzin à 8 heures du matin sans incident.

samedi 20 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 20 décembre 1914

Vers 2 heures du matin un éboulement se produit dans la sape russe. Nous débouchons au centre de l'entonnoir fait par le fourneau du 1er décembre.

Le Lieutement Pomeau commandant la Cie est cité à l'ordre du corps d'armée.
Le s/m Mayet est cité également pour sa conduite le 10 décembre.
Les s/m Maury & Régnier sont cités à l'ordre de la division pour le même motif.

Le sergent Dumolard meurt à Hermaville des suites de sa blessure. Il reçoit la médaille militaire des mains du général commandant la 45e Division. Proposé déjà comme sous-lieutenant, et bien que sa nomination n'ait pas été prononcée, il est enterré avec les honneurs dûs à un officier, en raison de son courage et de sa belle attitude.

Léon Sévérin DUMOLARD Mort pour la France

Dimanche 20 décembre 1914

Je suis réveillé par le canon, mais il n'y a rien d'anormal, quelques salves. Le temps est d'un bleu splendide, et en effet le soleil qui arrive est chaud. C'est une vrai journée de printemps. C'est la première fois que je vois un temps aussi beau depuis que je suis dans le nord. Aussi, les avions mettent les heures à profit et toute la journée on les voit évoluer, même le saucisson (ballon capté allemand) est monté dans le ciel. Il y avait beau temps qu'on ne l'avait pas vu, et on ne désire pas sa compagnie car elle ne nous procure que des déboires.

Nous assistons à la messe, et on avait fait arranger l'église pour la circonstance. La foule est toujours composée de soldats. Ce soir à midi, je pars aux tranchées, et la chaleur nous fait transpirer ; en arrivant à Roclincourt, à l'endroit découvert, on aperçoit très bien le saucisson qui lui doit nous voir aussi, et il n'y a pas de doute à ce sujet, car il arrive trois obus de 77. Mais heureusement un peu court.

Nous allongeons toujours le boyau près de la tranchée allemande, bientôt on commencera le rameau, on n'est plus loin maintenant, 25 mètres tout au plus, aussi prend-on toutes les précautions pour éviter toute surprise.

J'apprends que le sergent blessé par la bombe est mort de ses blessures. On l'a proposé, je crois, pour la médaille militaire et le grade de sous-lieutenant.

vendredi 19 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 19 décembre 1914

L'attaque nouvelle projetée pour le matin vers 5 heures n'a pas lieu, sur l'ordre du colonnel commandant le sous-secteur de Roclincourt.
Le sergent Triollaire est cité à l'ordre du jour de la division pour sa belle conduite le 8 décembre.
Le sergent Dumolard est gravement blessé au champ d'honneur.

jeudi 18 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 18 décembre 1914

Une attaque qui avait été projetée pour la nuit n'a pu avoir lieu.

Vendredi 18 et samedi 19 décembre 1914

Les jours continuent à s'écouler sans amener de gros faits notables, canonnade de notre fait ou de celui des Allemands, duel d'artillerie et qui s'arrête souvent sur l'infanterie, il vient nous tracasser dans les tranchées.

Aujourd'hui samedi, les bombes nous ont fait des victimes dans une sape à droite de la route de Lille ; deux sergents de mes camarades étaient en train de regarder au périscope la direction de leur tranchée. Naturellement ce va-et-vient d'appareil au-dessus du parapet a été remarqué par l'ennemi, qui n'a pas tardé à envoyer des bombes, l'une a tombé près d'eux et l'explosion a coupé le pied et endommagé l'autre à un nommé Dumolard, 1ère section, l'autre en a été quitte pour la peur, mais a eu sa capote de jambière entièrement déchiquetée par l'explosion. Il a eu un peu de jambe écorchée, rien quoi. Celui-là est de ma section, aussi à présent a-t-on le trac car ce n'est pas encourageant et peu engageant. Celui qui a eu la jambe coupée a eu beaucoup de courage et fut retiré de suite malgré les bombes qui tombaient encore, et porté à Roclincourt au poste de secours afin de le soigner de suite, mais je ne sais pas s'il survivra. Le soir, celui qui s'en est tiré m'a raconté l'accident, et c'était encore à se demander comment il s'en est tiré, et en voyant son état je me demande en effet comme il a pu faire. Conclusion, ce n'était pas encore pour cette fois.

mercredi 17 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 17 décembre 1914

Même travail.
Le sergent Guichard est cassé de son grade pour mollesse dans son service, et passe à la Cie 17/1 M du 2e Génie.

Jeudi 17 décembre 1914

Je me suis réveillé la tête lourde. J'ai mal dormi, je ne sais pas si cela provient de la fatigue, car c'était une heure du matin que je me suis couché ; enfin je me suis remis, et après un bon déjeuner, chocolat au lait qu'on s'offre tous les matins, cela allait mieux. Je sens toujours mon pied qui me fait mal, et ce sera ainsi tant qu'on ne me donnera pas d'autres chaussures. Comme remède pansement humide et exempt de chaussures. Je ne puis aller aux tranchées pieds nus, je reste donc, nous verrons demain. Mais le remède principal qu'il faudrait ne vient pas, il faut encore attendre 10 jours.

Aujourd'hui violente canonnade sur la Targette, [Illisible] et Saint-Laurent, il paraît que l'on a avancé sur ces points, mais sur le nôtre c'est toujours là, c'est un coin redoutable et fermé, c'est le front du taureau. Le bombardement doit continuer demain, on doit tenter une poussée, les Anglais ont dû avancer et occupent Lens à ce qu'on nous dit. Si c'est vrai, les Allemands devront bientôt reculer car ils seront pris entre deux feux. Nous aurons, je crois, de drôles de fêtes de Noël, et comme sons joyeux ce sera le grondement du canon.

J'ai reçu des nouvelles de toute la famille et suis heureux que tout le monde soit en bonne santé et mieux placé que moi. Au point de vue guerre, c'est naturel que cela soit moi qui trinque, je suis le plus jeune. Je reçois deux colis, dans l'un du bon beurre du Queyras. Il est bon d'avoir une femme qui vous aime, et on souffre de la peine et du souci que l'on cause à ceux qui vous sont chers. Attendons les événements, on verra encore de terribles choses, si on a le bonheur de passer au travers de cet ouragan de fer.

Ce jour nous a favorisés, car il n'a pas plu, le ciel était presque clair. Aussi les aéroplanes ont recommencé leurs excursions autant d'un côté comme de l'autre.

mardi 16 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 16 décembre 1914

Même travail. Les sapes sont poussées activement.

Mercredi 16 décembre 1914

Je pars à 10 heures pour faire la relève à midi. Quelques obus, tombant au-dessus de nos batteries, nous font lever la tête car notre chemin nous fait passer près d'elles, mais c'est terminé, et nous continuons notre chemin le long du talus, jusqu'à 100 mètres de Roclincourt, mais là nous devons être aperçus de la crête sur notre droite car on entend quelques balles siffler. On active le pas pour rejoindre le chemin creux. Ce doit être une mitrailleuse qui nous tire dessus car les balles arrivent à intervalle régulier. Mais à présent nous sommes à l'abri. Notre durée de travail s'effectue sans incident. Je fais lancer quelques bombes par l'obusier lance pétard, et comme bruit cela en fait, et si on arrive à taper dans la tranchée, cela fait aussi du dégât. Les Allemands nous obligent de nous servir de leur procédé, et cela ne doit pas les faire sourire si cela leur tombe à côté. 500 gr de mélinite cela fait un déplacement d'air considérable, et ceux qui se trouvent dans le rayon d'action sont horriblement blessés s'ils ne sont pas tués. De plus, nous confectionnons des pétards bombes, on arrange de la ferraille autour du pétard ou bien on y met une dizaine de cartouches, et cela devient un engin diabolique, et qu'on lancera de la tranchée si une attaque se produit, et les effets en seraient terribles et refroidiraient l'élan des plus courageux. Fasse le destin que nous ne nous trouvions pas à une réception de ce genre, car on ne peut à cela opposer aucun moyen de défense. Le soir, en revenant, une balle perdue est venue tomber sur le pied d'un de mes hommes, mais il en a été quitte pour la peur, cela n'a rien été. Mais en arrivant, j'ai appris qu'un de ceux qui travaillaient à ma droite avait été blessé à l'aine par une bombe, mais ce n'était pas grave, néanmoins comme c'est un point délicat, on l'a évacué.

lundi 15 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 15 décembre 1914

Même travail. Le s/m Tavel est blessé au ventre dans une tranchée de 1ere ligne. Le s/m Rambaud est blessé à la cuisse par une balle.

Mardi 15 décembre 1914

Je suis toujours à la gauche de la route de Lille, où nous avons avancé en sape pour nous rapprocher de la tranchée que les Allemands nous ont prise et qu'ils fortifient. C'est le moment d'avoir l’œil de manière à ne pas se faire pincer.

Au fur et à mesure que nous avançons, on fait des banquettes et placer des créneaux dans lesquels on place des tireurs pour veiller à notre sécurité au cas d'une attaque. À 2 heures du soir je passe les consignes à mon suivant, le sergent Civalero, et m'en vais, mais à 20 mètres d'où je le quitte, je m'aperçois que j'ai oublié mes guêtres en cuir dans la tranchée. Je retraverse la route, et j'ai la surprise de trouver Civalero blessé, lui que j'ai quitté une minute à peine. C'est une balle qui a traversé le parapet et qui lui a éraflé la tête coupant le cuir chevelu. On le panse immédiatement et lui verse un peu de teinture d'iode sur la plaie, et je l'emmène puisque je m'en retourne. Je suis tout heureux que sa blessure soit légère, il sera évacué et tirera un mois de repos. Mais le pauvre garçon n'a pas de chance, les officiers et le major qui nous est affecté se débrouillent (vu que la blessure n'est pas grave) pour le garder. Cela est de la guigne noire, être blessé et se reposer au son du canon, ce n'est pas agréable, et on préférerait aller un peu en arrière. C'est une leçon car un autre cas se présenterait, ce serait dans une autre ambulance, de ce fait on serait sûr d'être évacué.

dimanche 14 décembre 2014

Lundi 14 décembre 1914

La nuit que je viens de passer n'a pas été très bonne, parce qu'il pleuvait, et j'ai passé dans des boyaux où nous sommes rentrés dans l'eau jusqu'aux genoux ; de ce fait, j'ai gardé le mouillé toute la nuit, et elles sont fraîches et longues ces soirées passées aux tranchées. On grelotte surtout quand on est trempé dessus et dessous, et je commence à sentir des douleurs dans les jambes, signe précurseur des futurs rhumatismes. Il faut veiller, et dans le boyau que nous faisons, en avant de la tranchée des tireurs, je fais faire des créneaux et placer des sentinelles pour veiller à notre propre sécurité et pour pouvoir se défendre, en cas d'une attaque toujours probable, mais tout reste calme, à part les coups de fusils qui sont tirés de part et d'autre comme de coutume pour se tenir en éveil, et faire voir que la guerre n'est pas finie.

Pour rentrer le matin, même manège dans la boue, heureusement que je puis me mettre au sec en arrivant, et c'est un grand bien. Nous avons depuis quelques jours, 20 zouaves par section qui viennent travailler avec nous pour s'initier au lancement des bombes et travaux de sapes, cela nous fait un apport de plus en hommes qui n'est pas à dédaigner, car la moitié des sapeurs sont embusqués, ce sont les poires qui marchent.

samedi 13 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 13 décembre 1914

La tranchée de 1e ligne est bombardée par l'artillerie allemande avec des obus de 155. Des chasseurs sont tués dans les entonnoirs. Nos travaux sont bouleversés et ne peuvent être repris que vers 2h du matin. Devant les bombardement les chasseurs évacuent une partie de la tranchée. Les sapeurs présents occupent les créneaux. L'ordre rétabli, ils remontent en hâte les parapets des tranchées bouleversées et reprennent le travail en sape.

Dimanche 13 décembre 1914

J'ai le bonheur d'avoir cette journée de dimanche presque entière, car je ne repars aux tranchées qu'à 8 heures du soir. J'assiste à un spectacle comme de ma vie, je n'ai vu le pareil. J'ai déjà eu l'occasion de dire dans ce journal, que nous étions logés dans l'église. Donc pour l'office, on avait redressé un peu la paille, de manière à avoir un couloir sur le milieu. Le chœur est débarrassé des bancs qu'on y avait déposés, et un prêtre soldat fait le service divin avec deux zouaves comme enfants de chœur. L'assemblée est composée de quelques femmes, deux religieuses et le restant de soldats de toutes armes et dans tous les accoutrements. Tous les visages sont graves et recueillis, et l'on sent le besoin qu'ont tous ces hommes, les jeunes de 20 ans et ceux à longue barbe, à élever leur âme, afin d'implorer Dieu pour qu'il accorde la confiance et l'énergie nécessaire afin de soutenir les fatigues et la lutte jusqu'au bout. C'est surtout le réconfort moral qu'on demande, car la plupart ont 3 mois et plus de campagne sans aucun repos, et les forces commencent à diminuer.

La messe est chantée par les soldats, et de la tribune où je suis, j'embrasse l'ensemble éclairé par un pâle rayon de soleil filtrant à travers les vitraux, et c'est quelque chose d'émouvant de voir tous ces hommes courbés avec à côté les sacs posés par terre et les fusils adossés au mur, équipements de-ci de-là, et au-dehors le canon qui tonne non loin de nous semblant nous dire de ne pas trop oublier les choses d'ici-bas.

Nous ne les oublions pas assez malheureusement, et le temps ne s'écoule pas à notre gré. Cette cérémonie me restera gravée dans la mémoire aussi longtemps que je vivrais, c'est une des principales émotions que j'ai ressenties à ce jour, et les larmes me montaient aux yeux. Que n'ai-je la plume d'un écrivain, je ferais un joli récit. Ce dimanche a été aussi nuageux que les jours précédents, mais c'est de coutume, et nous n'y ferions plus attention si cela ne nous portait pas préjudice pour les chemins.

vendredi 12 décembre 2014

Vendredi 11 et samedi 12 décembre 1914

Nous continuons à vivre dans les mêmes conditions que les jours précédents, mêmes marches pénibles pour se rendre aux tranchées, surtout la nuit où cela devient un vrai supplice. D'autre part on reçoit nombre de balles égarées car ne pouvant y voir, les fusils sont pointés n'importe où, et c'est comme cela que des sentiers difficiles en plein jour deviennent dangereux la nuit. Et dans le va-et-vient il y a toujours quelqu'un de blessé. C'est ce qui est arrivé ce soir samedi à notre relève ; un caporal de ma section nommé Gravier, un brave garçon, a reçu une balle à la tête en revenant des tranchées, et il en était déjà à plus de mille mètres. Je n'étais pas avec lui ayant passé avec mon équipe par Écurie, et lui, et c'est là où est la fatalité, au lieu de suivre le chemin habituel, avait pris un sentier qui raccourcissait. On l'a enterré le lendemain dans la cour de l'usine, à Roclincourt, qui est à présent un vrai cimetière. Cela fait réfléchir. Depuis quelques jours, cela fait déjà plusieurs de la section qui disparaissent, et ce n'est pas encourageant. Ce même jour, Brunet Laurent du Grand Villard reçoit une balle dans le poignet. Je n'ai pu le voir car il n'était pas dans mon chantier, il a été évacué de suite. Ce sapeur est un pays, il est du Grand Villard. Il en aura pour un bout de temps avant de revenir au feu, si toutefois il retourne.

Nos travaux de sape et de mine continuent activement. Je languis que cela se passe. Car près de nous, à 40 mètres, les Boches ont bouché le bout de la tranchée qu'ils nous ont prise, et en ce moment l'on voit un fort barrage de sacs à terre, ils ont construit là une sorte de petit fortin qui doit être défendu par une ou plusieurs mitrailleuses, c'est l'outil qu'ils mettent en première ligne. Depuis 3 jours, au moyen du périscope, je m'aperçois qu'ils sortent toujours de la terre de ce coin là, et je doute fort qu'ils sont en train de miner la tranchée ou l'avant, car ils s’aperçoivent bien que nous avançons en sape vers eux, et un de ces jours ils nous joueront un tour à eux.

On se méfie, mais pas assez. Une preuve de leur vigilance, c'est que chaque fois que l'on sort le périscope pour regarder en avant, ils nous tirent dessus et 2 fois déjà ils ont percé la boîte. Heureusement, qu'ils ont visé haut, sans cela c'est la tête qui trinquerait car, à certains endroits, le parapet n'est pas assez haut pour que la balle ne traverse pas, et l'on en a souvent les preuves.

Toujours des bombes nous sont flanquées par la figure et elles nous font des morts et des blessés, c'est l'engin qui nous embête le plus en ce moment, et les blessures sont terribles. Challier de Sainte-Catherine en a reçu une sur le dos, qui l'a couché, et a ensuite blessé deux zouaves en éclatant sans faire de mal à Challier, il en a été quitte pour une courbature, c'est de la veine.

jeudi 11 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 11 décembre 1914

Continuation des travaux. Commencé une sape offensive partant du 2e entonnoir parallèlement à la tranchée VIII et une autre passant de la tranchée VIII et cherchant à couper la sape allemande dont la tête à déjà été bouleversée le 1er décembre par l'explosion du fourneau 11.

Vendredi 11 décembre 1914

Ma section part à 11 heures du matin pour faire la relève à 6 heures. On nous a adjoint 20 zouaves par section, qui ont été pris parmi les mineurs et terrassiers, de cette sorte nous avons de fortes sections. Je suis placé à gauche de la route de Lille en face de la tranchée que nous avons abandonnée. On fait un boyau qui monte vers cette tranchée pour la prendre d'enfilade. Nous en sommes environ à 70 mètres. La route de Lille présente un triste aspect, elle est coupée sur plusieurs points, et les arbres sont hachés par les balles, les obus en ont coupé plusieurs et coupé un grand nombre de branches.

Avec un capitaine de zouaves, nous sommes allés voir les dispositions de l'état des travaux. Pour cela, nous sommes allés dans les tranchées des Joyeux, où se trouvait un périscope, appareil très simple formé d'un jeu de glaces qui permet de voir tout ce que l'on a devant soi, sans mettre sa tête au-dessus du parapet. Il n'y a que la glace qui dépasse, de cette façon nous avons vu la direction de la sape par rapport à la tranchée Allemande.

J'ai vu aussi les cadavres des zouaves tués au cours des assauts, et il y en a beaucoup, sans compter ceux qui sont dans les tranchées. Quelle désolation et dire qu'on est tous appelés au même sort. Enfin tout le monde n'y reste pas, et on a 50 chances de s'en tirer. La proportion est faible en effet, et encore plus d'être blessé. Je quitte le périscope, le capitaine regarde à son tour, mais les Allemands l'ont aperçu aussi, et une balle traverse l'appareil sans le casser. Heureusement que le parapet prenait, sans cela la tête recevait plusieurs fois. On tire au-dessus, et il faut changer de place si l'on veut continuer de voir.

Sur les 2 heures, au moment où on vient me relever, quelques bombes arrivent mais éclatent en dehors de la tranchée. J'ai su plus tard que sur la route, une bombe avait blessé 5 à 6 zouaves, dont 2 ont les jambes coupées, c'est terrible et il faut rester là. Nous, on en lance aussi mais ce n'est pas merveilleux. Naturellement, si cela porte dans la tranchée, cela doit aussi y faire du mal car la mélinite est terrible, mais on ne peut pas voir les dégâts que cela y cause. On commence quand même à s'inquiéter du mal que nous font ces bombes, et je crois qu'on va placer des mortiers plus gros dans les tranchées et pointés par des artilleurs. On termine par où on aurait dû commencer, et il faut que cela soit toujours l'ennemi qui fasse voir la marche à suivre.
Periscope tranchée française

mercredi 10 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 10 décembre 1914

Le capitaine Taupin est grièvement blessé par l'explosion prématurée d'un pétard au cours d'une instruction sur les artifices et le lancement de bombes à Louez. Le Lt Pomeau prend le commandement de la Cie. Le fourneau établi à l'est de la route de Lille en avant du fourneau du 2e Génie explose et est occupé par les zouaves.

A signaler la conduites des s/m Mayet, Maury et Regnier. Le s/m Mayet entre avec les 5 zouaves dans l'entonnoir et lance des pétards dans la sape allemande éventrée par l'explosion. Les s/m Maury et Reynier établissent rapidement les communication entre les 2 entonnoirs.

Jeudi 10 décembre 1914

On active les fourneaux de mines dans la première tranchée au cas où il faille l'abandonner. Dans ce cas, on ferait tout sauter de manière que la tranchée se comble et ne puisse servir à l'ennemi. Il n'y a plus eu d'attaques, on en revient tout de même, et cela coûte trop cher en hommes pour ce que cela rapporte.

Notre capitaine(1) s'est fait sauter le poignet en faisant des lances de pétards qui lui ont éclaté dans la main.

(1) Capitaine Taupin [JMO]

mardi 9 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 9 décembre 1914

Commencement d'une sape offensive à l'O.E. de la route de Lille se dirigeant à 5 m à l'est de la tranchée VII occupée par les Allemands.

Mercredi 9 décembre 1914

Voilà deux mois que nous sommes partis pour le front et, après diverses pérégrinations, nous nous trouvons de nouveau depuis quelque temps dans les environs d'Arras, où nous étions venus en arrivant. La situation depuis deux mois n'a guère changé de ce côté, si ce n'est de virulentes attaques de part et d'autre et qui se produisent encore ces jours derniers. Beaucoup de monde reste sur le terrain, et les blessés le sont dangereusement, aussi les pertes sont-elles sérieuses dans les zouaves. Mais il faut tenir, c'est peut-être le dernier effort que tentent les Allemands avant de se retirer. Qui vivra verra, c'est le cas ou jamais.

Cette nuit, il y a encore eu attaque de notre part vers Écurie, et l'affaire n'a pas très bien réussi. Il est vrai qu'on ne sait jamais bien les résultats, mais souvent, très souvent, il y a un manque de cohésion entre le commandement et les exécutants. Il faudrait auparavant en peser toutes les chances, et que tout le monde sache ce qu'il a à faire en cas de non réussite, et surtout qu'ils sachent où ils vont. C'est ce qui est arrivé il y a 8 jours, les zouaves de la deuxième ligne ont chargé sur ceux de la première, d'où pertes inutiles et effet moral désastreux.

Décidément, le temps veut rester mauvais, toujours sombre et brumeux avec pluie de temps en temps, ce qui rend les marches pénibles.

lundi 8 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 8 décembre 1914

Au petit jour, cette ligne est obligée de se retirer, ce qui permet aux Allemands de prendre la tranchée de la route de Lille à revers. Cette tranchée doit être évacuée. La situation est donc la même que pendant la journée précédente.

Nous faisons en sape une place d'armes partant du nouveau barrage en sacs à terre, vers le sud, faisant face à la route de Lille. Dans la nuit du 8 au 9, ordre est donné de détruire la portion de tranchée occupée par les Allemands. Une attaque à la baïonnette en déloge l'ennemi sur la route de Lille et à l'est. La destruction s'opère au moyen de fougasses formés de 9 pétards de mélinite, posés et allumés par le Sgt Triollaire et 10 sapeurs. Sur la partie comprise à l'O.E. de la route de Lille l'attaque d'Infanterie ayant échouée, la destruction ne peut être opérée. Le Sgt Triollaire fait preuve de sang froid en faisant évacuer complètement la tranchée. Il reste seul avec un homme et met le feu à 10 fourneaux puis va se rendre compte de l'effet des explosions. La tranchée de la route de Lille est complètement refermée.

Mardi 8 décembre 1914

Me voici au repos avec une bronchite attrapée pendant ces jours derniers et surtout pendant les 24 heures qui viennent de s'écouler ; de dimanche à minuit, à lundi à pareille heure, il s'est déroulé d'autres événements.

Nous travaillons dans toutes nos attaques, lorsque vers 6 heures du matin, à la pointe du jour, nous entendons des explosions de bombes successives et vers la tranchée de première ligne où nous avons deux rameaux. Les zouaves, attaqués à l'improviste et peu nombreux, arrivent à se sauver après avoir quelques hommes hors de combat. Mais nous avons quatre sapeurs qui, surpris dans les rameaux ont dû être faits prisonniers à moins qu'ils n'aient été tués, ce que je ne pense pas. Cela a été mené rapidement, et les ennemis retournent le parapet et se mettent à l'abri. Si nous avions contre-attaqué de suite on aurait pu mieux réussir à les débusquer, mais ils ont le temps de prendre position et installer leurs mitrailleuses. Vers une heure de l'après-midi, une compagnie de zouaves essaye de reprendre la tranchée à l'assaut, mais les premiers qui partent sont fauchés, et tout y passerait, et beaucoup de blessés sont ramenés en arrière, ceux qu'on a pu prendre. D'une section, il reste un homme.

À 3 heures, on bombarde par le canon la position, et pendant 20 à 30 minutes c'est un roulement de tonnerre, nous sommes là huit hommes dans un bout de boyau où nous commençons une tranchée et à peu de distance d'où partent les obus. Ils passent sur notre tête, et je sens l'air qu'ils déplacent. Les tranchées sont bouleversées et les Allemands doivent fuir, car à certains moments nos mitrailleuses fonctionnent. Le bombardement cesse, et l'assaut est donné sur notre droite, et en première ligne il tombe du monde, mais elle doit être prise, on ne voit pas très bien car il commence à faire nuit. Peu d'instants après, la fusillade se fait entendre devant nous, ce sont les nôtres qui tirent, par conséquent elle doit être à nous, et peu d'instants après les bombes tombent de nouveau sur cette tranchée, nos lignes sont pleines d'hommes de renfort pour l'attaque, et on ne peut passer dans les boyaux.
Nous sommes enfin relevés à 9 heures du soir, quelle misère pour revenir, il pleut et les chemins sont pleins d'eau, nous en avons jusqu'à mi-jambe. Tout le long du chemin nous trouvons des blessés que l'on porte au poste de secours. Quel spectacle. On m'a dit le lendemain qu'il y avait encore eu attaque dans la nuit et qu'on avait fini par abandonner cette tranchée pour laquelle 500 zouaves sont tombés, quelle perte.

De notre côté, quelques-uns des nôtres y sont restés. Que de sang répandu. De leur côté, les Allemands doivent aussi avoir du monde par terre mais on ne peut évaluer leur pertes. Ils doivent tenter un nouvel assaut, et pendant quelques jours cela va être terrible.

dimanche 7 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 7 décembre 1914

Même travail. A 6h30 une attaque ennemie déloge de la tranchée à l'ouest de la route de Lille les zouaves qui l'occupaient : 4 sapeurs qui travaillaient à l'un des rameaux peuvent s'échapper, les 4 autres sont fait prisonniers ou tués : cap Tourtet, s/m Durand, s/m Durand, s/m Pache.

Un barrage en sacs à terre est établi à l'est de la route de Lille. Les sergents Dumolard et Maréchal, le m/o Bérard placés derrière lancent des pétards sur une mitrailleuse allemande. A la suite de contre-attaques effectuées pour reprendre la partie de tranchée prise par les Allemands les s/m Lafont et Garambois sont blessés. Le m/o Gilibert, les s/m Clare et Pellissier sont portés disparus.

A l'attaque de minuit nous réussissons à nous emparer de la partie de la tranchée située à l'est de la route de Lille ; celle-ci conquise, les sapeurs font une barricade en sacs à terre sur le bord O.E. de la route et ne cessent pendant la nuit de lancer des bombes par dessus cette barricade. Nous réussissons à nous maintenir sur la route de Lille malgré les bombes et les pétards à main. Une ligne de tirailleur est installée sur le talus est de la route.

Camille Elie Joseph GILIBERT Mort pour la France
Louis Joseph PELLISSIER Mort pour la France
Albert André CLARE Mort pour la France

samedi 6 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 6 décembre 1914

Même cantonnement ; même travail.
Le s/m Briançon est légèrement blessé par l'explosion prématurée d'une bombe française.
Le m/o Giacobi, les s/m Viricel et Odoul sont blessés.

vendredi 5 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 5 décembre 1914

Même cantonnement ; même travail.
La compagnie reçoit des tubes lance-bombes dont elle assure le service. Un fourneau est établi à 12 m au nord de l'entonnoir provenant du fourneau 12, sous une sape allemande.

Samedi 5 et dimanche 6 décembre 1914

Ces jours se passent sans trop d'incident, notre travail aux mines et sapes continue. Toujours mauvais chemin pour le trajet, pluie et vent d'une manière constante. Les Allemands montrent une certaine activité, nous aurons probablement du chambard un de ces jours.

jeudi 4 décembre 2014

JMO du Cie 14/5 du 4 décembre 1914

Même travail.
Mort du s/m Allix frappé d'une balle dans la tranchée n°VIII
Ordre est reçu d'activer les travaux de défense en 1ère ligne, où il faut se maintenir à tout prix.

Jacques Adrien ALLIX Mort pour la France

Vendredi 4 décembre 1914

Aujourd'hui, nous sommes allés aux tranchées à 8 heures du matin. En route, on nous apprend qu'il y a encore un sapeur de tué. C'est un jeune homme des environs de Barcelonnette, il a reçu la balle en pleine tête et est mort sur le coup. Si cela continue, on y passera tous et cela fait réfléchir.

Nous faisons des rameaux de combat, et y faisons des fourneaux au bout, de manière à faire sauter les Allemands, s'ils viennent faire des tranchées au-dessus. C'est du travail dangereux, on a toujours peur d'une contre-mine et de rester aplati dans la terre. La séance est agrémentée par les bombes, et on a toujours le nez en l'air pour voir s'il n'en arrive pas une sur la tête. Quel sale coin nous avons de nouveau attrapé, enfin cela s'arrangera peut-être. Ce matin à la pointe du jour, les canons de 75 ont tiré pendant 20 minutes à toute vitesse, il y a dû avoir attaque du côté de Saint-Laurent et de la part des Allemands. Cela n'aura pas réussi. Depuis je n'ai plus rien su. On est sur les lieux et on ne sait rien de ce qui se passe à 1 km de soi.

mercredi 3 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 3 décembre 1914

Le 2e ligne est à peu près complètement organisée. Les attaques en rameau, dans la tranchée de 1ère ligne qui avaient été abandonnées par ordre, sont reprises.
Les s/m Alloix et m/o Delphin sont tués à l'ennemi, au cours du travail.

Damien Alphonse ALLOIX Mort pour la France
Constant DELPHIN Mort pour la France

Jeudi 3 décembre 1914

La nuit s'est terminée mais non sans incident, un homme de la section a été tué dans un boyau, il a dû se faire voir, sans doute. Le camarade qui était avec lui a failli y passer aussi, mais a pu se retirer en arrière en rampant sur le ventre. Il était émotionné, cela se conçoit. Cet homme n'a pu être retiré que la nuit sans danger. Depuis 24 heures, il n'y a pas de chance, car avant que nous arrivions, un sapeur de la première section, qu'on avait envoyé commencer à faire un trou quelques mètres en avant de la tranchée, avait été tué par un poste de zouave qui n'avait pas été averti et qui avait l'ordre de tirer à la moindre des choses. Voilà à quoi aboutissent les oublis. Quand les accidents se suivent de cette façon, cela fiche le noir et refroidit les bonnes volontés. Et c'est toujours bêtement que cela arrive. Nous avons enterré au cimetière de Saint-Aubin ces hommes. Tous ceux qui sont tombés ont toujours été enterrés. C'est un devoir à leur rendre, et on a toujours pu le faire jusqu'à présent.

mardi 2 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 2 décembre 1914

Continuation des travaux.
s/m Mouchaud blessé d'une balle au travail.

Mercredi 2 décembre 1914

Ma section étant rentrée le matin du travail, je ne partirai qu'à minuit. J'ai donc toute cette journée de libre, sauf quelques heures employées à faire fabriquer des hérissons, qu'il faut pour placer en avant des tranchées, et il en faut des quantités, toute la compagnie y travaille à tour de rôle.

lundi 1 décembre 2014

JMO Cie 14/5 du 1er décembre 1914

Continuation des travaux. Explosion du fourneau 11. Les Allemands, à la suite de cette 2e explosion ne paraissent plus travailler en tête de sape, à l'est de la route de Lille.

Mardi 1er décembre 1914

Mon pied m'a fait encore rester au cantonnement ; comme pansement je ne puis y mettre que de la teinture d'iode, mais le meilleur remède ce serait d'avoir des souliers plus grands sans cela mon talon ne guérira jamais.

Le temps est toujours très variable, et il fait beaucoup de vent. Depuis notre arrivée, je n'ai pas encore vu d'aéroplane, ni français, ni allemand, c'est vrai que leur tâche est rendue difficile par le temps qui n'est jamais clair, et le vent. De même, le ballon, que nous apercevions vers le nord-est de Roclincourt, ne s'y montre plus. Je n'en suis pas fâché car cela nous évite les obus. Les batteries, ne voyant rien, restent tranquilles, tirant de temps en temps sur les villages qu'ils supposent abriter des troupes et emplacements de batteries. Pendant ce temps elles nous laissent la paix (si on peut parler de la sorte).

dimanche 30 novembre 2014

Lundi 30 novembre 1914

Je devrai marcher ce matin au travail. À présent ce sera moins pénible car il est établi par roulement, mais mon pied écorché me fait souffrir et je vais à la visite. Le major me dit que j'en ai pour 2 à 3 jours et que ce sera guéri. Mais que si je continue à marcher, cela s'aggravera, et j'en aurai ensuite pour plus longtemps. Le capitaine m'a fait appeler croyant que je n'avais pas voulu marcher afin d'avoir une journée, mais [je] lui ai dit que c'était impossible et que d'abord j'étais sur le cahier de malades et reconnu. Il y en a qui font beaucoup de zèle en chambre et à l'abri, mais s'il fallait qu'ils fassent comme tout le monde, ils claqueraient en peu de temps, et ce sont ceux là, qui la guerre finie, auront le plus de langue et n'auront jamais vu une tranchée et jamais eu le danger d'écoper une balle. Quelques émotions seulement quand un percutant tombe, car on ne leur laisse pas la liberté d'aller se mettre où ils veulent, sans cela on ne les verrait jamais.

Ce matin je m'offre un bon chocolat, car j'ai eu la veine de trouver du lait et m'en fais retenir tous les jours, et ayant toute commodité pour le faire cela va tout seul.
Le paysage est toujours le même : meules de paille dans les champs et à moitié démolies, le grain y est encore, on n'a pas eu le temps de battre. Les maisons sont saccagées de-ci-de-là, murs éventrés. La campagne est toujours morne sous un ciel gris, aucune vie ne l'anime. Les champs sont abandonnés et sont sillonnés par des tranchées, les paysans vont avoir quelque chose à combler après la guerre.

De certains pays, Roclincourt, Écurie, surtout à ce dernier village, il ne reste que quelques maisons et c'est bombardé tous les jours.

Ici la position va devenir terrible, car on fait sauter des tranchées au moyen de mines, et la guerre de siège ne nous dit trop rien, car on risque de rester aplati par terre ou de faire un voyage dans le ciel. Triste perspective comme aviation. Si on avait cru au départ venir faire des mines en plein champ, la guerre se fait difficile, et on a recourt à tous les moyens possibles et tous plus dangereux les uns que les autres pour se casser la figure. Nous voilà fin novembre, qui sait ce que nous réserve décembre, et si on verra la fin et en quel point on sera ? C'est le mystère de l'avenir.

samedi 29 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 29 novembre 1914

Même cantonnement, même travail.

Le fourneau de mine préparé par la 17/1 11, avant notre arrivée de le secteur, explose en bouleversant la tête de sape ennemie et en donnant naissance à un entonnoir de 9 m de diamètre, d'où la compagnie repart en rameau (rameaux n°12)

Dimanche 29 novembre 1914

J'ai dormi comme un morceau de bois et me réveille à 7 heures et demi, le sommeil dissipé mais fatigué. De toute la journée je ne fais pas 500 mètres. Je profite pour faire ma correspondance le soir, car j'ai reçu 7 lettres à la fois, et il faut que j'y réponde. Le manque de temps a mis du retard dans mon courrier.

Dans la ferme où nous sommes, et ma foi l'on est bien tombé pour une fois, car nous avons table pour écrire et un fourneau qui ronfle, et le patron, un cultivateur nous tend du café chaud et la goutte à bon compte, tout le monde est content. Les deux sergents qui sont avec moi, avons une pièce à côté, où un cuisinier de zouave nous a dit de nous mettre, et sommes comme chez nous et y couchons sur un matelas étalé par terre. Quel lit de plume comparé à la litière que l'on a eue jusqu'à présent. Quand le cuisinier a servi ses chefs, un adjudant, un maréchal des logis des chasseurs d'Afrique, et deux autres, on se fait cuire des plats et on se rattrape des jours où l'on n'avait pas de patates. Ici on en a dans le champ en face. Nous avons pu ainsi augmenter notre ordinaire car en ce moment la cuisine n'est pas merveilleuse à la section.

Le soir on a fumé quelques cigarettes, et en faisant les lettres, le patron m'a payé le café et ensuite le thé. C'est le premier que nous trouvons aussi aimable, car le genre du nord est d'être froid et peu communicatif. Mais il se trouve que mon proprio a resté longtemps à Paris, et peut-être est-ce pour cela qu'il est plus sociable. Il nous a aussi vendu du vin à 2 Fr le litre, on le trouve cher mais c'est du vieux et excellent. J'ai remarqué que dans le nord tous les vins sont en bouteilles et qu'ils sont de qualité supérieure, quoique ce ne soit pas leur boisson courante, ils aiment le bon et leur cave est en rapport. Je me couche à 10 heures du soir.

vendredi 28 novembre 2014

Samedi 28 novembre 1914

La nuit se passe assez calme, de notre côté des balles sifflent. À 6 heures du matin, sur notre gauche, se produit une contre-attaque allemande pour reprendre la tranchée abandonnée par eux la veille. Mais le coup ne réussit pas. Nous avons mis baïonnette au canon, au cas où l'on nous attaquerait aussi, et doigt sur la détente, et l’œil au guet on se tient prêt à toute éventualité. Mais tout se calme au bout de 20 minutes. Nous passons toute la journée car nous ne serons relevés que le soir. Cela fait un peu long comme durée de travail.

Vers 3 heures du soir, j'ai failli y passer. Un sapeur m'appelle pour me faire voir quelque chose dans les tranchées allemandes, à peine levons-nous la tête pour regarder qu'une balle passe entre nous deux et s'enfonce dans le parapet. On se baisse aussitôt après le claquement, dans le genre d'un fort coup de fouet, afin d'éviter une deuxième si elle vient, car c'est sur nous qu'on tire, pas d'erreur. On se regarde tous deux et on a une drôle de sensation, il était moins cinq comme on dit couramment. 10 minutes après et sur notre droite, on nous dit qu'un fourrier(1) de zouave vient de recevoir une balle en plein front. C'est généralement la tête qui attrape car c'est elle seule qui peut dépasser les parapets.
Enfin à 10 heures du soir on est relevé et on arrive (après une marche rendue pénible par l'excès de fatigue) à Anzin à minuit.

(1)Sergent-fourrier, grade remplacé par sergent-chef en 1928.

jeudi 27 novembre 2014

Vendredi 27 novembre 1914

7 heures du matin, on arrive au cantonnement, c'est l'église. On boit le café chaud en arrivant. Je cherche à dormir un peu mais dans l'église tout est pris. De la paille de partout et des hommes dessus. Je n'ai pu trouver de la place dans le cœur, et c'est au pied de l'autel que je puis sommeiller 1 heure environ, couché sur un peu de paille. J'ai pu admirer la beauté de l'autel qui est tout en chêne sculpté. Je n'ai jamais vu d'église aussi riche comme celle-là, c'est une miniature. C'est dommage de profaner de pareils endroits, car il y a des hommes qui font là comme chez-eux. C'est vrai que souvent c'est le manque d'éducation, et ils n'y mettent pas de méchanceté.

Je croyais dormir la nuit suivante, car on nous fait partir de l'église, et sommes cantonnés chez un propriétaire où nous couchons dans une salle chauffée et sur un matelas. Mais à 5 heures, on nous apporte un ordre et il faut partir à 6 heures du soir. Adieu matelas, ce ne sera pas pour aujourd'hui que je pourrai profiter de ta douceur.

mercredi 26 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 26 novembre 1914

Ordre de se transporter à Anzin-Saint-Aubin. Départ de Gouy-Servins à 13h30. Arrivée à Saint-Aubin à 18h30. A 21h, 3 sections partent au travail à Roclincourt à l'est de la route de Lille, à 600 m au nord de la route d'Ecurie à Roclincourt.

Ma compagnie est employée à organiser une 2e ligne de défense ; la proximité de l'ennemie oblige à travailler uniquement en sape. Quelques équipes de sapeurs sont envoyées dans la tranchée de 1ère ligne, pour commencer des attaques en rameau de combat destinées à ralentir l'avancement des sapes allemandes et pour envoyer des grenades à main, et même des pétards de mélinite amorcés dans les têtes de sape allemandes.

Travail par embrigadement.

Jeudi 26 novembre 1914

On était au travail lorsque vers 10 heures du matin arrive l'ordre de partir, pour aller du côté d'Arras à Anzin-Saint-Aubin.

Nous partons donc de Gouy-Servins à 1 heure 30 sac au dos, et on peut dire qu'il pèse, et les courroies me coupent les épaules, car voilà 25 jours qu'on ne l'avait pas endossé. On passe de nouveau à Camblain-l'Abbé où l'on fait une pose, ensuite Acq, et de là, on prend la route d'Aubigny. À Hautes-Avesnes, nous prenons la grande route d'Arras que nous suivons jusqu'à celle de Luël les Duisans (Agnez-les-Duisans). On arrive enfin à Anzin-Saint-Aubin à 7 heures du soir. On nous cantonne dans l'église pour y passer la nuit.

On en profite de manger un peu de pain, et on défonce une boîte de conserve, et cela fait le souper. On a faim. À 9 heures mauvaise surprise, on nous dit que les 1e, 2e et 3e sections partent pour le travail de nuit aux tranchées de première ligne. Malgré la fatigue causée par la marche effectuée, on part. La route est pénible et boueuse, défoncée par le roulement, et nous mettons 2 heures à atteindre notre but. À certains points non défilés les balles sifflent de tous côtés, personne n'est touché. La nuit se passe lente et triste. Les hommes ne peuvent plus donner, vaincus par la fatigue et le sommeil.

mardi 25 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 25 novembre 1914

Même cantonnement, continuation des abris.
Un s/m Borrelly, blessé à la cuisse et à la main par une balle.

Mercredi 25 novembre 1914

Aucun fait saillant à signaler, nous effectuons les abris sans être trop inquiétés. Les balles tapent dans le parapet avec un bruit de claquement de foret. D'autres passent non loin de nos têtes avec divers sifflements, provenant d'un ricochet ou de la balle qui file franchement. Le son n'est pas du tout le même. Plus au nord, la grosse voix du canon trouble de temps à autre le silence. Le temps est resté couvert, la température étant plus douce, le terrain a un peu dégelé, et l'on recommence à se crotter. Aucun obus n'a été tiré sur nous de tout le jour, cela m'étonne de tant de délicatesse à notre égard.

lundi 24 novembre 2014

Mardi 24 novembre 1914

C'est notre jour de repos, mais on en profite guère car nous sommes obligés de lâcher le camp du château et reprendre notre ancien cantonnement. Cela nous fait une mauvaise surprise quand on nous [l']apprend au réveil. Nous étions trop bien, et cela ne pouvait pas durer. Jalousie des armes, il ne faut pas être mélangé, dut-il y avoir de la place de reste.

Aussi toute la journée est-elle passée à faire un second abri dans les écuries où il pleut. Je fais installer cela avec des rondins, et en guise de toiture, on couvre avec de la paille, et l'on constitue ainsi un plafond. Il fait tout de même moins froid qu'auparavant. Aujourd'hui, la température s'est considérablement adoucie, et le peu de neige qu'il y avait a fondu, et je crains que les chemins deviennent boueux. Aujourd'hui deux hommes de la compagnie ont été blessés par des ricochets de balles mais pas gravement.

dimanche 23 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 23 novembre 1914

Même cantonnement. Les tranchées et boyaux (le tout exécuté en sape) sont terminés. On commence la construction des abris.

Lundi 23 novembre 1914

Le travail de nuit est terminé, et ce n'est pas malheureux. Trois sections travaillent de jour, et la quatrième se repose, et ainsi à chacune d'elle par roulement. Le jour, il fait tout de même moins froid que la nuit, et l'on fait plus d'ouvrage. Cela continuera-t-il longtemps ainsi, je ne sais. Les balles nous ont sifflé toute la journée aux oreilles et beaucoup frappaient sur le parapet. On devait nous apercevoir, mais personne n'a été touché. À un moment donné, on a fait tirer le 75 qui a envoyé quelques obus sur la chapelle, et immédiatement le zèle des tireurs ennemis s'est arrêté. Les chemins sont gelés, et il faut faire attention car on risque de tomber à tout moment.

vendredi 21 novembre 2014

Samedi 21 et dimanche 22 novembre 1914

Je passe ces deux jours au cantonnement, étant indisposé, quelques coliques. Aujourd'hui dimanche, je vais aller à la messe l'après-midi. Je vais avec quelques camarades faire une manille au café. C'est la première que j'ai l'occasion de faire depuis que je suis sur le front, et c'est d'ailleurs tout ce que l'on peut s'offrir comme distraction.

mardi 18 novembre 2014

Mercredi 18, jeudi 19 et vendredi 20 novembre 1914

Ces jours là s'écoulent comme les précédents sans amener aucun changement dans la situation. On avance toujours en sape, et viendra le moment qu'on pourra se parler sans trop élever la voix.
Jeudi vers 2 heures du soir, la neige s'est mise à tomber et a continué jusque vers 8 heures du soir. La couche atteint 10 cm, il a fallu évacuer notre cantonnement parce qu'il y avait de la neige. On s'est trouvé une place dans les caves du château dont nous habitions les écuries. Le château est, d'après les gens du pays, abandonné depuis 70-71, et d'après ce qu'il reste, a dû être luxueux car il est très vaste avec un grand escalier. Mais à présent les chambres n'ont plus de porte, et les cavités ont été bouchées avec des galandages en briques. Il a fallu faire des trous pour nous donner du jour. Pour moi, j'ai fini par trouver avec deux camarades un tout petit réduit au deuxième étage. On a bouché les jours avec de la paille, mis une couverture pour faire la porte et on est comme des princes. Manque la lumière, car nous n'avons en fait de croisée(1) que une petite ouverture de 40 cm carrés donnant sur le couloir. Mais cela nous vaudra moins de froid.

(1)Fenêtre

lundi 17 novembre 2014

Mardi 17 novembre 1914

Aujourd'hui repos, ce n'est pas de refus car on commence a être harassé. Le soleil s'est montré quelques instants, puis ce sont les nuages qui prennent le dessus. Du cantonnement on ne se croirait pas en guerre mais plutôt en grandes manœuvres. Les soldats plaisantent entre eux et n'offrent aucun aspect de tristesse. Mais le canon qui gronde plus loin nous tient à la réalité des faits. Dans la nuit on perçoit mieux le bruit d'un coup de fusil, cela provient sans doute du calme qu'il fait.

dimanche 16 novembre 2014

Lundi 16 novembre 1914

Parti au travail à 3 heures, c'est notre tour à marcher de nuit. Ce n'est rien rapport au danger, mais éreintant rapport aux chemins pleins de boue, et dans la nuit on tombe facilement dans des bas- fonds et on perd le sentier. La nuit a été froide, et on grelotte littéralement. Une canonnade très violente s'est faite entendre toute la nuit du côté de la Bassée, et l'on voit les sinistres lueurs des obus éclatant dans la nuit. Des fusées éclairantes sont lancées de temps en temps. Rapport à l'éloignement, nous ne pouvons pas entendre les coups de fusil mais il y aura une attaque d'un côté ou de l'autre.

samedi 15 novembre 2014

Dimanche 15 novembre 1914

Ce dimanche, je le passe dans la tranchée et n'ai pas eu le bonheur de pouvoir assister à la messe comme il y a 8 jours. La journée a été froide, et par suite j'ai grelotté de froid. La pluie a tombé à certains intervalles, de ce fait les chemins sont toujours impraticables, et c'est ce qui fatigue le plus. Dans notre cantonnement la nuit, le vent règne en maître, et la pluie passant à travers les tuiles crevées nous tombe sur le nez.

vendredi 14 novembre 2014

Samedi 14 novembre 1914

La journée se passe assez calme de notre côté. Quelques coups de canons de part et d'autre, mais du côté de la Bassée le canon tonne sans interruption. J'ai pu apercevoir le paysage de Lens à Béthune, c'est la plaine à l'infini, tachetée d'usines, montagnes de charbon et hauts fourneaux. Le temps est toujours pluvieux.

jeudi 13 novembre 2014

Vendredi 13 novembre 1914

Un vendredi et un 13, les superstitieux pourront croire que c'est un mauvais jour. Il est marqué seulement par un temps épouvantable, le vent s'abat en rafales impétueuses mélangées de gouttes de pluie. De notre baraque, où il manque des tuiles, nous recevons des gouttes d'eau sur notre lit, si cela peut s'appeler ainsi. Mais on songe aux camarades qui sont aux tranchées et l'on s'estime heureux.

J'ai reçu une carte de M.Tranchat me donnant des nouvelles des uns et autres. Cela fait plaisir quand les amis pensent à vous. De ma famille rien depuis plusieurs jours, cela me fait languir.
Aujourd'hui j'ai profité de faire plusieurs lettres, cela m'a fait passer ce jour maussade et m'a procuré quelques bonheurs. Ma journée est finie et vais m'endormir bercé par la bourrasque, et demain départ à 3 heures du matin. Le repos est précieux maintenant.

Ce jour, que j'avais le temps, je n'ai pas pu lire le journal, le vendeur n'est pas venu. C'est peut-être la faute au temps.

mercredi 12 novembre 2014

Jeudi 12 novembre 1914

Dans la journée, nous avons resté au cantonnement et nous sommes allés au travail la nuit. Celle-ci s'est passée froide mais calme. Pas un seul coup de fusil n'a été tiré dans la tranchée pendant la nuit. Sur le front que nous occupons les opérations sont calmes, et je crois que tout se reporte dans la région d'Ypres et de la Bassée, d'où nous entendons une canonnade incessante. Quelques fois, durant la nuit, quelques coups de fusil se font entendre de part et d'autre, ce n'est pas une attaque, mais simplement pour dire que l'on veille et que l'on est toujours là.

mardi 11 novembre 2014

Mercredi 11 novembre 1914

Voilà déjà un mois que nous sommes arrivés sur le front, et depuis cette époque les opérations n'ont guère changé. À part le nord et en Belgique, où les alliés ont fait des progrès importants, le reste n'a pas bien bougé. Du train dont cela va, il ne faut pas compter que cela soit fini avant Pâques. Que de souffrances à supporter d'ici là, et la mauvaise saison qui va venir encore aggraver la situation existante. J'ai lu hier que les Russes ont remporté une grande victoire, et qu'ils pénètrent en Allemagne. Cela pourra peut-être déterminer par la suite la durée de la campagne.

Nous avons travaillé avec le 9e régiment du génie. Avons posé des réseaux de fil de fer. Jusqu'à midi cela s'est bien passé, mais vers une heure, notre position étant plus avancée, nous avons dû être signalé à l'artillerie, qui s'est mise à nous arroser de shrapnells. Impossible de continuer de travailler, on dut se mettre dans les tranchées aux abris. Plusieurs éclats m'ont frisé et un obus m'a éclaté à deux mètres au-dessus de la tête, j'en étais enlourdi. Nous avons été quitte pour la peur car personne n'a été blessé.

lundi 10 novembre 2014

Mardi 10 novembre 1914

On travaille toujours sur la chapelle, qui est maintenant un amoncellement de ruines. Des tranchées où nous sommes, on aperçoit à travers le brouillard et à 20 mètres à peine, toute une rangée de morts. Il y en a de 25 à 30, tous sont tombés presque en ligne, fauchés sans doute par la mitrailleuse au moment d'une charge à la baïonnette. Les cadavres sont noirs car il y a un mois déjà qu'ils sont là, car il était impossible de les ramasser. Peut-être qu'à présent on pourra les enterrer sans être exposé à se faire tuer. Car on tire sur le premier qui sort. Voilà la guerre, où sont donc les conventions internationales et leurs applications ! Tout est violé, et plus de lois n'existent. C'est d'un triste spectacle que de voir cela, et on se sent remué jusqu'au fond de l'âme. De temps en temps, suivant l'air, arrivent les senteurs des corps en putréfaction, et il faut rester là dans cette atmosphère avec ce spectacle sous les yeux. D'après beaucoup, il paraît que cela n'est rien auprès de ce qu'ils ont vu. Je me demande alors ce que ce doit être.

Nous continuons à fortifier la position.

dimanche 9 novembre 2014

Lundi 9 novembre 1914

La nuit s'est passée sans beaucoup de mal. Sur les minuit, nous avons reçu des coups de fusils par les Allemands. Ce devait être une patrouille qui a pris pour des hommes, les hérissons que nous avions planqués par dessus le parapet de la tranchée.

J'ai gelé littéralement de froid cette nuit là. Le brouillard nous transperçait d'humidité. Nous sommes rentrés à 7 heures du matin au cantonnement, avons reposé le jour. Le trajet est très fatiguant il faut presque deux heures pour faire le parcours. Le bois est dangereux à parcourir, à certaines heures où les obus tombent par rafales.

samedi 8 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 8 au 22 novembre 1914

Même cantonnement ; même travail.

Voir  le plan des travaux sur Mémoire des Hommes (p8).

Dimanche 8 Novembre 1914

Nous avons repos ce matin. Aussi, j'en profite pour aller à la messe avec plusieurs camarades. L'église est pleine de soldats qui profitent de leur loisir pour venir puiser du réconfort dans la prière.

À 3 heures, notre section part pour les tranchées faire l'avancement, pendant la nuit, dans les points périlleux.

vendredi 7 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 7 novembre 1914

Même cantonnement ; même travail.
Les pelotons alternent entre eux, de jour de nuit.

Samedi 7 novembre 1914

La journée s'est passée calme. Les Allemands n'ont rien tenté et aucun coup de canon n'a été tiré de leur part. Que cela signifie-t-il ?

jeudi 6 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 6 novembre 1914

Même cantonnement, même travail. Blessé grièvement Reppelin Joseph s/m.

Vendredi 6 novembre 1914

La journée n'a pas été trop rude pour notre équipe, confection dans le bois de réseaux barbelés et transportables pour lancer par- dessus les tranchées. C'est un ensemble formé par deux morceaux de bois en croix et un autre perpendiculaire à ceux-ci, de cette sorte il y a toujours trois pointes en l'air, et reliés entre eux par des ronces. Cela constitue un obstacle très sérieux.

Un homme de la première section a été tué hier soir. Il a un peu levé la tête pour montrer un Allemand qu'il apercevait et a reçu une balle dans la tête. Pauvre malheureux, au lendemain il respirait encore, mais je crois qu'il n'y a pas d'espoir.

On devait de nouveau attaquer la chapelle mais cela a échoué. Les Allemands y ont placé quatre mitrailleuses, et c'est presque une folie, et il y a toujours une section de chez nous qui marche après pour transformer les retranchements et faire des abris, ce n'est pas le coin rêvé.

mercredi 5 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 5 novembre 1914

Les pelotons alternent entre eux ; de jour et de nuit ; pour l'exécution de ces sapes.

mardi 4 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 4 novembre 1914

Même cantonnement. A 3h, le 2e peloton va relever à N-D de Lorette le 1er peloton qui rentre au cantonnement. Au petit jour, la chapelle est reprise par les Allemands.

Le 2e peloton travaille en sape à réunir des tranchées.

Le caporal Foutroux est blessé à 11h.

lundi 3 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 3 novembre 1914

Même cantonnement.

Dans la matinée continuation du travail de la veille. Dans l'après-midi, le 1er peloton reçoit la mission de construire des abris et des boyaux de communication à l'est de Notre Dame de Lorette, après la prise de cette position par l'Infanterie. L'Infanterie en prend possession vers 17h00. Le 1er peloton commence immédiatement le travail qui dure toute la nuit. Le 2e peloton dans l'après-midi continue la construction du boyau de communication se dirigeant vers N-D de Lorette, jusqu'à 17h. Au moment de la préparation par l'artillerie de la prise de la chapelle de N-D de Lorette, un shrapnel allemand explosant au-dessus du boyau de communication, tue les 2 s/m Créton Joany et Bonnaffoux Joseph et blesse les 4 s/m Ravanat, Pellegrin, Buisson et Jarnonac.

Le 2e peloton rentre au cantonnement.

Joany Lucien Créton Mort Pour la France
Joseph Émile Bonnaffoux Mort Pour la France

Mardi 3 novembre 1914

Je n'ai pas eu le temps ces derniers jours de marquer les événements au fur et à mesure car le travail a été presque continuel. Mardi, nous avons travaillé 24 heures durant à agrandir des tranchées et à les relier par des boyaux de communications. Travail pas trop facile en raison de la proximité de l'ennemi, car nous sommes de 50 à 100 mètres des Allemands. Aussi les balles sifflent près de nos oreilles. On se relève par section, mais on est éreinté. Mardi soir, deux hommes ont été tués pas des éclats d'obus, et cinq blessés. C'est seulement par les obus que nous sommes atteints, et cela est idiot d'être ainsi démoli à 5 ou 6 kilomètres de loin sans pouvoir se défendre. Heureusement que cela ne se produit qu'accidentellement. Dans la section, nous avons eu relativement de la veine jusqu'à présent.

Dans la nuit de mardi à mercredi l'infanterie a pris une chapelle, et a fait un prisonnier, c'était un pionnier (c'est-à-dire génie), on travaille donc des deux côtés à fortifier. Mais la position n'a pas été occupée assez fortement, et le matin les Allemands l'ont reprise. De ce fait les matériaux que nous y avions transportés leur servent et le travail effectué aussi. Ça ne fait rien. La nuit dernière n'a pas été agréable pour nous car on nous tirait dessus par le flanc, et souvent ce sont les balles françaises mal dirigées. Il est vrai que, de part et d'autre, la nuit cela doit être pareil. La pluie tombait, et il était très difficile de travailler dans ce terrain qui ne laisse pas filtrer l'eau et ne forme qu'une boue. Aussi le matin, en rentrant au cantonnement, étions-nous pleins de terre et qui ne s'en va pas facilement. Et c'est à peine si cela commence à sécher sur ma capote, et deux jours après, où est passée la propreté. Nos fusils aussi sont rouillés. On n'a pas le temps de les astiquer, mais pourvu que cela fonctionne, cela suffit pour l'instant, et c'est notre plus grand souci. Heureusement que je croyais qu'on serait mieux dans ces paysages que du côté d'Arras. On sait toujours ce qu'on laisse mais on ignore ce que l'on va prendre. Aussi, à présent il m'est indifférent d'être ici ou là, pourvu que chaque jour qui s'écoule nous mène vers le but final qui est la paix.

Aujourd'hui jeudi, nous sommes rentrés à 8 heures du matin et ne repartons que demain à 5 heures. Cela fait 20 heures de repos, et nous allons en profiter pour dormir car le besoin s'en fait grandement sentir. On supporte encore car on est bien nourri, c'est-à-dire quantité suffisante. La viande est tendre c'est un plaisir. Jamais j'en avais mangé d'équivalente au régiment et du riz tous les jours par exemple. Du vin, on a du vin presque tous les jours, deux quarts et dans ces régions cela fait plaisir, car on ne trouve que des citrouilles et des chopes de bières. Comme alcool c'est de l'à-peu-près et elles titrent au plus 30 à 35°.

(Prochaine note le 6 novembre)

dimanche 2 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 2 novembre 1914

Le 1er peloton ouvre un chemin pour l'artillerie dans le bois de Bouvigny, parallèlement à un chemin existant, devenu impraticable. Le 2e peloton fait un boyau de communication, partant de la lisière du bois de Bouvigny (200 m au nord de l'Y de Bouvigny) se dirigeant vers l'H de Notre Dame de Lorette.

Lundi 2 novembre 1914

Le jour nous trouve en marche vers une forêt où nous allons faire une route, car celle qui existe est tellement boueuse qu'on ne peut y passer les canons qu'avec grande difficulté. Nous coupons le bois, qui est petit, c'est plutôt du taillis, aucun terrassement à faire le terrain est presque plat. Aujourd'hui les Morts, cela doit être un recueillement général en France. Qui n'aura pas un mort dans sa famille ? La journée est ensoleillée et le temps est doux avec une légère brise. Nous sommes un peu tranquilles et les obus ennemis ne se sont pas encore faits entendre sur nos têtes. Il est vrai que cette région est plus calme que celle d'Arras.

samedi 1 novembre 2014

JMO Cie 14/5 du 1er novembre 1914

La Cie se met en route pour Camblain l'abbé à 4h. De là elle est dirigée sur Gouy-Servins, où elle cantonne. Aucun travail exécuté.

Dimanche 1er Novembre 1914

Camblain-l'Abée, 10 heures du matin grande halte, on fait la soupe. Pour arriver ici nous avons passé par Marcoeuil, Mont-Saint-Éloi, Acq. Nous devons aller vers Lens car nous en sommes plus rapprochés que de Arras.

Des avions nous survolent, et presque aussitôt les shrapnells font leur apparition mais éclatent loin des avions.

J'ai réussi à prendre la carte du département du Pas-de-Calais à un almanach, et de ce fait je peux savoir dans quel coin on se trouve rapport aux lignes et aux principaux centres.

Il y a juste 8 jours, l'on se trouvait à Saint-Laurent et nous n'étions aussi tranquilles. Espérons qu'aujourd'hui cela se passera mieux. Des sapeurs du génie sont en train de faire un autel en plein champ où sera dite une messe demain, pour les morts de toute la division. Le général a là une excellente idée et je voudrais bien y assister, cela doit être quelque chose de triste et grandiose tout à la fois. On sera par le cœur et la pensée réuni à sa famille qui, là-bas à l'autre bout de la France, va faire un pieux pèlerinage au cimetière où sont les chers disparus. Et porter des fleurs en plus grand nombre en pensant aux absents, et qui des fois ne reviendront pas.

Midi, on arrive à Gouy-Servins. Il y a déjà des troupes, mais le pays n'a pas l'air d'avoir déjà été bombardé. Les cloches sonnent. Avec plusieurs amis, vers 4 heures, nous rentrons à l'église et assistons aux vêpres. Beaucoup de militaires viennent là se réconforter. À la soupe, j'ai le bonheur de trouver deux lettres qui m'attendent. De ma femme, c'est la première, aussi je lis avec empressement les nouvelles qu'elle contient. L'Autre, de mon frère Joseph. Tous se plaignent que les lettres n'arrivent pas vite.

vendredi 31 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 31 octobre 1914

Même cantonnement. Même travail.
La Cie reçoit l'ordre, à 18h, de se mettre à la disposition de la 70e division (Q.G. à Camblain l'abbé).

Samedi 31 octobre 1914

Toujours même travail, tranchées avec abris. On devient à la coule pour les dissimuler.
À onze heures, comme la section quitte le travail, nous avons un moment d'émotion : quelques obus viennent tomber près de nous. Heureusement que ce sont des petits. On se défile dans les tranchées. Ce doit être le ballon captif allemand qui nous signale à une batterie, car nous l'avons vu toute la journée.

Vers 3 heures du soir, comme nous [nous] rassemblons pour nous préparer à changer de cantonnement, trois obus nous arrivent à quelques mètres. Inutile de dire de se cacher. Tout le monde est aplati contre le talus. Cette fois, ils ont frappé plus près que le matin. On s'en tire pour la peur mais il était temps. Heureusement que le sifflement avertit du danger. Nous devions quitter Saint-Aubin dans la soirée aussi se dépêche-t-on à manger la soupe et monter le sac.
Vers 7 heures arrive l'ordre de coucher où nous étions, et départ pour l'autre destination (que l'on ne sait pas encore) à 5 heures du matin. Je m'endors pendant que le canon gronde, et que les marmites tombent à droite et à gauche de l'usine. On dit qu'un monoplan français aurait descendu un Taube dans la soirée. Je voudrais bien que cela soit vrai.

jeudi 30 octobre 2014

Vendredi 30 octobre 1914

La journée s'est déroulée calme ce matin. Vers deux heures de l'après-midi commence une violente fusillade du côté de Roclincourt, au nord d'Arras, ce doit être une attaque ennemie. Peu de temps après, la canonnade commence et devient ininterrompue. Il est 8 heures du soir, et le tonnerre continue. Je suis anxieux d'en savoir le résultat. Nous fortifions les environs de Saint-Aubin. Veut-on reculer ? Je ne pense pas, mais il est bon de prendre des précautions. Il a plu presque toute la journée. Que de fatigues physiques et morales doivent supporter les lignes de combat, obligées de coucher dans les tranchées, et je considère que nous sommes encore les moins à plaindre.

mercredi 29 octobre 2014

Jeudi 29 octobre 1914

Cette journée se passe, comme la précédente, sans incidents notables. Le canon est toujours de saison, et les marmites explosent dans nos parages, mais assez loin de nous. Je reçois ce jour la première lettre du pays, elle vient de mon frère Joseph. Avec quelle joie je dévore les nouvelles qu'elle contient car elle apporte un peu de réconfort et d'affection qu'on a laissés au départ. J'ai espoir que dorénavant j'aurai des nouvelles plus souvent. De ma femme, encore rien et pourtant il y en a au moins une dizaine en route. Elles me parviendront plus tard.

À midi, nous rejoint à Saint-Aubin l'homme qui était disparu dimanche soir. Il a resté dans les tranchées. Il passait trop de balles et il était dangereux pour lui de se sauver.

mardi 28 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 28 octobre 1914

La Cie cantonne à Louz-les-Duisans. Elle travaille en 2ème ligne à l'organisation d'une position défensive comprise entre la cote 92 (route de Saint-Pol à Arras de Louez) et l'S de scarpe (entre Saint-Aubin et Anzin-Saint-Aubin).

Mercredi 28 octobre 1914

La nuit s'est passée sans incident, mais il fait froid. Notre campement est une usine, mais tout y a été démonté. Cela devait appartenir à quelque Allemand qui a dû prendre la fuite en emportant le plus précieux.

Nous faisons de nouveau des travaux de défense avec abris. À proximité sont installés des obusiers de 220, et les obus qu'ils envoient doivent faire serrer les fesses aux boches. Chacun son tour. Le poids en est respectable 103 kg chargés à mélinite.

L'après-midi un lièvre vient se faire assommer à coup de pelle dans nos chantiers.

lundi 27 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 27 octobre 1914

La Cie continue le travail de la veille. A 16h elle reçoit l'ordre de se rendre à Anzin-Saint-Aubin, pour être mise à la disposition du Général Cdt la 45e division. A son arrivée au cantonnement à Sainte-Catherine, un obus allemand explosait auprès d'un groupe de sapeurs xxxx faisant 1 mort et 7 blessés.

Mort : Moullet Ludovic 2e classe Mort pour la France
Blessés : Peyre Jean, Roussel Aimé (2e c), Chion Léon, Vicat Augustin, Mathieu Pocas, Manuel Antoine, Benoist Ernest

Mardi 27 octobre 1914

Nous avons passé encore la nuit de lundi à mardi dans le cantonnement. Vers midi, nous repartons vers la fabrique qui a brûlé et faisons un boyau de communication sur le revers de la route. Sur notre passage détourné, nous voyons les maisons écroulées de fond en comble, chevaux crevés, éventrés, ce ne sont que des ruines. Les marmites ont éclaté par là, et dans les champs il y a de grands entonnoirs produits par les éclatements.

Vers cinq heures nous rentrons, mais sommes arrêtés par les batteries de 75 qui font un feu d'enfer. De même nos propres pièces tirent, et nous ne pouvons pas avancer. Situation critique et s'il arrive un obus à ce moment, il y reste une tapée d'hommes. Je vois des obus qui éclatent vers notre cantonnement et je perçois un cri mais n'y prête pas attention. Une demi-heure après, ayant réussi à passer, nous voyons passer dans la rue des blessés portés sur des brancards.

Ils sont de la compagnie, c'est un obus de ceux que j'ai vu tomber, et le cri était poussé par un de ces hommes. Un homme est mort et sept blessés. Ce qui porte à douze le nombre de manquants, si cela continue cela ira mal. De ce fait, nous lâchons Sainte-Catherine et nous nous dirigeons dans la nuit vers Saint-Aubin où nous couchons.

dimanche 26 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 26 octobre 1914

Repos dans la matinée. L'après-midi, travail à la construction d'un boyau de communication, sur la route à la sortie nord-est de Saint-Nicolas, se dirigeant vers la Maison-Blanche. Rentre à 18h à son cantonnement (Sainte-Catherine).

Lundi 26 octobre 1914

Nous avons pu retrouver notre cantonnement et y sommes arrivés par détachements et dans la nuit ; aujourd'hui nous avons eu repos. J'en profite pour me remettre de la fatigue de ces temps derniers.

samedi 25 octobre 2014

JMO Cie 14/5 du 25 octobre 1914

Elle part à 4 heures, arrive à Saint-Nicolas. Un peloton est envoyé sur les lignes de feu à Saint-Laurent. Le 2e également aux première, aux Maisons-Blanches. Elle travaille à l'organisation des positions. Quitte le travail à 18 heures. Cantonne la nuit à Sainte-Catherine-lèz-Arras.

Pertes de la journée du 25 :
  • Blessés :
    • Marcelin Cornand, sergent
    • Achille Parndier, caportal
  • Disparus :
    • Basset Emile, sergent(1)
    • Girodon, sapeur mineur
(1) Non décédé d'après sa fiche matricule.

Dimanche 25 octobre 1914

On nous réveille à 2 heures du matin, et partons presque aussitôt pour le quart à Saint-Laurent(1) où il y a eu aussi une attaque. Nous faisons des créneaux dans les maisons afin de pouvoir tirer sur un clocher où les Allemands ont installé une mitrailleuse. C'est dans ce village, dans une cour, que j'ai vu le premier mort, un chasseur. Il était recouvert de son manteau. Héros obscur tombé pour la défense de la patrie. Des blessés passent aussi, un chasseur qui revenait de porter la soupe, vient d'être blessé, et une balle lui a traversé le bras. Nous le pansons, et je lui donne à boire du rhum. Quelle désolation dans le pays : les toits crevés, maisons abandonnées par leur propriétaires ; et tout est en l'air, meubles épars, façades trouées. Dans les rues traînent épars des fusils cassés, baïonnettes tordues, cartouchières, effets. C'est navrant et bien fait pour attaquer le moral.

Dans la ferme que je suis abrité, et pas abandonnée, je trouve du lait et du beurre ce qui nous fait plaisir. Les balles sifflent à nos oreilles et s'aplatissent avec un claquement de foret. On fait des ouvertures de maison en maison et passons en terrain découvert par une sape afin de dégager deux sections de chasseurs à pieds, mais ne pouvons finir notre travail car les obus percutants et fusants pleuvent de tous côtés, les tuiles tombent, et obligé de se terrer, un chasseur à été tué, un autre blessé, mais dans notre section aucun blessé. On se défile à l'entrée de la nuit mais à ce moment se produit l'attaque allemande. Les balles pleuvent, il y a un moment de confusion et ensuite l'ordre renaît. Les Allemands sont maintenus, il y a eu des pertes sérieuses de part et d'autre. Nous avons en cette soirée deux sergents et un caporal blessés, 1 disparu.

(1) Saint-Laurent-Blangy au nord d'Arras