lundi 12 janvier 2015

Mardi 12 janvier 1915

C'est ma dernière journée de repos, j'irai au travail demain à midi. Il n'y a pas à dire, vivre en arrière il y a la nuit et le jour comme différence avec les tranchées. Ici à Saint-Aubin on respire, et on est en pleine tranquillité, malgré les quelques obus qui tombent parfois, car on ne craint que cela.
On est donc dispensé des balles, des bombes et explosions de mines, qui ne sont pas épargnées en première ligne. Continuer la campagne, comme ceux qui restent toujours à l'arrière, est en somme, sinon très agréable, peu dangereux, car on arrive à coucher sur un lit, et on est toujours propre et les pieds au sec, bonne table, la solde assez forte, que peut-on désirer de plus ? Il y en a qui voudraient que cela dure longtemps, car ils gagnent de l'argent plus que dans leur vie civile et encore moins de travail. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde.

Comme nourriture, pour le moment, on est très bien. Le menu est assez varié, vin, un quart tous les jours, la viande toujours tendre, et nous avons plus souvent des pommes de terre. Du riz, on en sert moins à présent, on commençait à ne plus pouvoir le sentir. Hier, nous avons mangé des haricots verts, ils étaient délicieux aussi il n'en est pas resté. Comme on doit le penser, c'est la première fois que cela arrive, mais il faut espérer que cela ne sera pas la dernière. Du miel aussi, voilà qui m'a épaté, et nous en avons souvent, et il est très bon. C'est du miel blanc. Je ne sais pas d'où il vient mais on le préfère au gruyère ou aux sardines qu'on nous fourrait tous les jours dans les débuts.
Il y a aussi tous les jours de l'eau de vie, et il est défendu aux cafetiers d'en vendre.

Pour ce que l'on peut trouver à acheter dans la localité, c'est très peu, et on le paie naturellement le double de sa valeur. Le vin 2 francs le litre. Il n'y a que la bière qui ne soit pas chère, 2 sous la chope, mais il est vrai que ça ne vaut pas grand chose, et c'est à peu près tout ce que l'on trouve.

Pour ce qui est de la situation, de notre côté c'est toujours la même chose depuis trois mois. Car on occupe toujours les mêmes positions, si l'on n'a [pas] avancé, cela ne prouve pas que l'on ne se fait pas de mal, il y a des pertes tous les jours, mais moins élevées qu'au début de la guerre. En tout cas elle est plus terrible qu'au début, car on se bat de plus près, et c'est plutôt un carnage qu'autre chose car les blessures provoquées par les bombes sont terribles, et c'est ce qui est devenu l'arme de circonstance pour la tranchée de tuer à coups de paquets de mélinite ou de dynamite. Il y en avait peut-être bien peu qui avaient prévu cela. C'est la nouvelle arme de la civilisation, qu'est-ce qu'on trouvera encore comme engin de destruction d'ici à la fin de la guerre ? Cela ne pourra être que de plus en plus terrible.

Ceux qui auront la chance de pouvoir sortir sains et saufs de cela pourront faire brûler un beau cierge à leur saint, mais ils ne seront guère épais ceux qui n'auront pas eu une égratignure.

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