Aujourd'hui le soleil a
enfin daigné se montrer, et par miracle, nous avons eu un ciel bleu
toute la journée. On croirait une journée de printemps. Cela suffit
pour nous remettre en gaîté et nous faire oublier les souffrances
de ces jours derniers.
Tout le long des
palissades on voit des capotes et pantalons qui sèchent, chacun
essayant de les nettoyer, et on racle la boue au moyen d'un couteau
car il y en a un cent[imètre] d'épaisseur. Mais les vêtements
restent marrons, il faudrait pouvoir les laver.
Comme si c'était fête
sportive, les aéro[planes] et ballons captifs étaient dans le ciel.
Il y avait longtemps qu'ils n'étaient sortis, aussi aujourd'hui ils
s'en paient. Les polochons allemands, aujourd'hui on en voit deux,
font tirer la grosse artillerie et les marmites tombent sur des
meules à deux cents mètres de la route. Ils cherchent les
batteries, qui en ce moment restent muettes. Personne ne tourne
autour quand les ballons lorgnent. De nombreux obus éclatent
au-dessus de notre patelin, car les avions le survolent, et ce doit
être des Taubes, il faut se mettre à l'abri car les éclats tombent
un peu partout.
Ce jour, voilà à peu
près 3 mois, que nous sommes sur le théâtre des opérations, et
notre front n'a pas changé sensiblement, toujours les mêmes lignes
de feu, et cette situation peut encore se prolonger longtemps ainsi.
D'après ce qu'a dit le général Quiquandon aujourd'hui, nous ne
ferons que maintenir nos positions et ce sera d'autres troupes
fraîches qui prendront l'offensive ; il est clair que ce ne
peut-être les hommes qui sont là depuis 4 mois. Il a l'air de
regretter de ne pouvoir être appelé à conduire les troupes en
avant. Mais celles-ci ne demandent pas mieux et ne serait pas fâchées
de pouvoir un peu se reposer. Serons-nous relevés ? Pour ma
part, je ne le crois pas. Nous resterons là, et l'offensive se fera
sur d'autres points. Nous ne ferons que suivre les fluctuations de la
marche en avant ! Cela ne veut pas dire pour cela qu'on soit à
l'abri des coups, car pendant qu'on cherchera à percer le front
allemand par ailleurs, ceux-ci pourront essayer de percer vers nous
et on continuera à se battre. Enfin, il faut avoir confiance puisque
l'on parle d'offensive. Il faut croire qu'il y a, quelque part, une
armée prête pour cela.
Pour moi, mon nez finit
par guérir, c'est moins grave que je ne l'avais cru tout d'abord, et
l'os n'a pas été tranché. Par conséquent la chair guérit vite.
J'ai évité par cet accident 8 jours de mauvais temps, l'un compense
l'autre.
Demain lundi, on me
vaccinera contre la fièvre typhoïde, ce n'est pas un mal car il
s'est produit quelques cas dans la compagnie, et il y a beaucoup
d'évacués. Cela provient-il de l'eau, qui ma foi n'est pas bien
bonne, ou de l'excès de fatigue et des refroidissements causés par
l'humidité continuelle, et on dort au froid et au courant d'air, sur
de la paille qui n'est pas précisément sèche.
Je suis toujours
installé à la tribune de l'église, et suis en somme au premier,
partie relevée, c'est très bien comparé au confort de ceux qui
sont sur le parterre de l'église. Celle-ci présente tous les jours
un aspect bizarre. Le soir, on dirait un campement indien, le matin
un hôpital car tout le monde tousse, d'autres ont des pansements
pour les blessures légères, ce sont ceux qu'on [n']évacue pas et
qui restent dedans.
Pour dire la messe le
dimanche, on écarte un peu la paille, enlève les sacs et on met
quelques chaises que viennent occuper quelques femmes du village. Il
y aurait un cliché à prendre et ce ne serait pas banal.
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