jeudi 8 janvier 2015

Vendredi 8 janvier 1915

J'ai toujours mon pansement sur le nez, celui-ci après avoir enflé, est presque revenu à son état normal, il n'y a plus que la blessure à cicatriser néanmoins. Je ressens une douleur jusqu'à l'arcade sourcilière, mais cela disparaîtra avec le temps.

Les attaques pour reprendre le terrain perdu continuent, mais sans aucun résultat car on nous tient à distance avec les bombes, et celui qui lance et tire le coup empêche l'adversaire d'avancer. On me rapporte que les Allemands nous ont encore pris deux petits postes, et toujours sans tirer rien qu'avec des bombes, et elles s'amènent par douzaines. Il est matériellement impossible de résister à ce terrible engin. Depuis mardi on ne se bat plus qu'avec cela, et les tranchées sont remplies de cadavres, et les blessés qui hurlent de douleur, car dans ces moments critiques défense de ramasser les blessés et bon nombre meurent faute de soins, ou écrasés par les vivants. Quelle vision et quelle angoisse dans l'âme de ces pauvres malheureux qui voient allonger leur martyre. L'enfer décrit par Dante n'est rien comparé à celui là, on ne peut pas entrevoir plus terrible. Les souffrances physiques sont encore augmentées depuis deux jours par la pluie qui tombe. D'après ceux que je vois revenir des tranchées, et les camarades qui me le racontent, on ne marche plus, on nage dans la boue. Il y en a jusqu'au ventre, et il faut vivre là-dedans. Ceux qui viennent d'arriver sont lamentables, couverts de boue jusqu'à la tête. Les fusils en sont pleins aussi, et il est impossible de s'en servir. Un zouave vient d'arriver, le pauvre garçon est devenu simple d'avoir souffert et, à découvert dans les champs, est revenu dans un état abominable, pas une balle qui lui ait été tirée, il faut croire que dans les tranchées ennemies il y a comme dans les nôtres, et que les Allemands sont dans l'impossibilité de bouger.

Un fait pour n'en citer qu'un, le zouave cité plus haut a sorti 4 à 5 territoriaux qui étaient enlisés, et à un, pour le sortir on lui a cassé la jambe. Voilà sous son réel aspect, la guerre telle qu'on la fait à l'heure actuelle.

En trois jours, notre compagnie a perdu 40 hommes, y compris les zouaves qu'on y a affectés. Il y a eu des pertes de notre côté, mais les cadavres allemands sont nombreux aussi dans les tranchées, et en certains endroits cela arrive à hauteur du parapet. J'étais incrédule, quand autrefois, je lisais dans les journaux qu'on faisait des remparts avec les cadavres, mais ici, je n'ai pas pu le voir de mes propres yeux, mais il est réel qu'on a fait une barricade sur des cadavres et en s'aidant de ceux-ci ; on ne les a retirés qu'un jour après, quand on a pu. C'est la guerre et toutes ses horreurs, nous sommes loin de la guerre qu'on s'est plu, dans son imagination, à voir si l'on peut dire grandiose, et à mon idée elle perd de son cachet et n'est plus qu'un vulgaire carnage dont les plus froids bouchers n'oseraient en regarder les victimes ; et pourtant, on reste là, et on y revient quoique l'on sache que la mort vous guette, vous y attend, mais c'est l'espérance qui vous soutient, l'on se dit peut-être j'en réchapperai, mais ils seront peu nombreux ceux-là qui pourront faire la campagne sans arrêt douloureux, et cependant désiré.

Dire que des milliers d'hommes souffrent et vivent des jours que les forçats n'ont jamais connus, et cela par la folie d'un homme. Il faut croire que leur intérêt est au-dessous de celle de la bête car celle-ci ne commettrait pareilles atrocités. Si après cette tourmente, les hommes ne deviennent frères et ne peuvent s'entendre pour une paix durable, c'est à désespérer de l'humanité et du siècle dans lequel nous sommes. Mais la leçon, dure et terrible qu'elle est, sera profitable, et on dépensera, en bien, l'énergie et l'argent que l'on mettait au mal.

Ce matin on a enterré au cimetière le commandant de zouaves, de Robine, tué à l'attaque de jeudi. C'était un vieux brave, il était depuis deux jours nommé lieutenant-colonel à un régiment de territoriaux. Il avait 64 ans, mais avait tenu à assister à l'attaque avec ses zouaves. Il n'a fait qu'augmenter le nombre de ceux qui tombent à Roclincourt. Ce pays pourra rester libre car des milliers d'hommes versent leur sang dans ce coin de terre. Si, sur tout le front, il en tombait autant que là, la guerre finirait bientôt faute de combattants.

En ce moment le canon gronde. Est-ce une attaque, je ne sais, on se méfie, car les prisonniers, qu'on a faits mercredi, ont dit qu'ils avaient reçu l'ordre d'être à Arras le 8 et c'est aujourd'hui. Que va-t-il advenir, vont-ils effectuer une poussée pour percer notre front, en cela ils ne réussiront pas.

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