Je devrai marcher ce
matin au travail. À présent ce sera moins pénible car il est
établi par roulement, mais mon pied écorché me fait souffrir et je
vais à la visite. Le major me dit que j'en ai pour 2 à 3 jours et
que ce sera guéri. Mais que si je continue à marcher, cela
s'aggravera, et j'en aurai ensuite pour plus longtemps. Le capitaine
m'a fait appeler croyant que je n'avais pas voulu marcher afin
d'avoir une journée, mais [je] lui ai dit que c'était impossible et
que d'abord j'étais sur le cahier de malades et reconnu. Il y en a
qui font beaucoup de zèle en chambre et à l'abri, mais s'il fallait
qu'ils fassent comme tout le monde, ils claqueraient en peu de temps,
et ce sont ceux là, qui la guerre finie, auront le plus de langue et
n'auront jamais vu une tranchée et jamais eu le danger d'écoper une
balle. Quelques émotions seulement quand un percutant tombe, car on
ne leur laisse pas la liberté d'aller se mettre où ils veulent,
sans cela on ne les verrait jamais.
Ce matin je m'offre un
bon chocolat, car j'ai eu la veine de trouver du lait et m'en fais
retenir tous les jours, et ayant toute commodité pour le faire cela
va tout seul.
Le paysage est toujours
le même : meules de paille dans les champs et à moitié
démolies, le grain y est encore, on n'a pas eu le temps de battre.
Les maisons sont saccagées de-ci-de-là, murs éventrés. La
campagne est toujours morne sous un ciel gris, aucune vie ne l'anime.
Les champs sont abandonnés et sont sillonnés par des tranchées,
les paysans vont avoir quelque chose à combler après la guerre.
De certains pays,
Roclincourt, Écurie, surtout à ce dernier village, il ne reste que
quelques maisons et c'est bombardé tous les jours.
Ici la position va
devenir terrible, car on fait sauter des tranchées au moyen de
mines, et la guerre de siège ne nous dit trop rien, car on risque de
rester aplati par terre ou de faire un voyage dans le ciel. Triste
perspective comme aviation. Si on avait cru au départ venir faire
des mines en plein champ, la guerre se fait difficile, et on a
recourt à tous les moyens possibles et tous plus dangereux les uns
que les autres pour se casser la figure. Nous voilà fin novembre,
qui sait ce que nous réserve décembre, et si on verra la fin et en
quel point on sera ? C'est le mystère de l'avenir.
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